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La cueillette [ft. Amara]

La cueillette [ft. Amara] Brandw10
Mer 20 Juil - 11:56
Une belle matinée, lumineuse et verdoyante dans cette belle forêt. Artémis était debout et en activité depuis l’aube. La nature n’attendait pas les fainéants et il l’avait appris à ses dépens bien rapidement. Pour la chasse, c’était indispensable. Les animaux se déplaçaient rarement en plein jour, surtout le passage d’étrangers dans la forêt. Aux aurores, ou à la tombée de la nuit, quand on savait où chercher, puis sans doute avec un peu de chance, on pouvait tomber sur de belles proies. Heureusement, la chasse n’était nécessaire tous les jours. Un bon butin pouvait durer une semaine, voire deux s’il avait petit appétit.

« Que diable me veux-tu ? Je t’ai déjà dit d’arrêter d’apparaître comme ça dans ma tête. Foutue Nebula, tu n’écoutes donc jamais rien ? Je nous pensais amis. Eh oui, garçon, un ami ne parasite pas la tête de son ami. C’est une règle FON-DA-MEN-TA-BLE, dit très calmement le vagabond. »

Des migraines, une voix qui lui parlait, la raison pour laquelle ce jeune monsieur se trouvait à l’écart de toute civilisation. Voilà des années qu’ils se battaient pour ne pas sombrer de l’autre côté, mais la lutte était bien rude. Cependant, il prit la décision de dominer ce parasite en lui, par tous les moyens possibles et imaginables. Ne sachant réellement par où commencer, il décida de se documenter. Le motif de ses récentes apparitions sur Opale n’était dû qu’à la richesse de sa bibliothèque. Il n’y avait hélas que des théories, plus que des solutions réelles. L’une d’entre elles consistait justement à passer des épreuves avec sa Nebula.

« Je sais que tu veux prendre possession de mon corps, mais j’ai encore tant de choses à faire, à régler. Et j’ai besoin de toi. Nous ne formons qu’un depuis longtemps, sauf que nous ne sommes pas encore tout à fait rodés… Eh ! Psst ! T’as entendu ? Ah oui, j’oubliais que t’entendais tout ce que j’entends, fit-il en tapant son front de la paume de sa main. »

Il ajusta son masque, dégaina sa lame et partit à la recherche de ce bruit étranger. Les animaux ne venaient pas si proche de chez lui, ils se savaient en danger en sa présence. Ce n’était pas le plus grand prédateur pour rien. Il se rapprocha à pas de loup, tout doucement. Il remarqua rapidement une petite silhouette, manifestement féminine, en train de cueillir certaines herbes. À en juger ces herbes, Artémis comprit rapidement pour quels intérêts cette personne les cueillait. Se trouvant maintenant à un pas, épée à la main, il l’observa sans rien dire. Mais son bras se leva, prêt à faire abattre la lame sur le sommet de sa tête.

« Mais que diable fais-tu, Nebula ? La tuer ? Mais tu rigoles ou quoi ? Elle est complètement inoffensive. Enfin, tu sais bien que ces herbes servent le plus souvent à faire baisser la fièvre, quel danger vois-tu ? Arrête tes conneries, retourne te coucher. »

Cette véritable discussion, de l’extérieur, ressemblait plus à une scène de théâtre ou tout simplement à un dégénéré en pleine crise d’identité. C’était raté pour l’effet de surprise. L’heureuse inconnue se retourna et put observer la terrible chauve-souris en pleine discussion avec son parasite, qu’elle ne pouvait évidemment pas voir. Quelle vie de merde, pensa Artémis en constatant une nouvelle fois qu’il passait pour un imbécile. Dans ses moments, il se demandait justement s’il existait un remède, une solution pour pallier à cette malédiction. Il perdait immanquablement la lucidité. En réalité, il l’a perdu depuis bien longtemps mais ne le savait pas encore.

Sans s’en rendre compte, il partit dans un rêve en restant éveillé, face à cette personne. Le chevalier noir se trouvait dans les rues d’Opale, sautant d’immeubles en immeubles, à la poursuite d’un groupe de criminels ayant commis des atrocités sur de pauvres innocents. Enragé, en quête de justice, Artémis ne faisait pas dans la demi-mesure avec ce genre d’individu. Au moment de sauter dans le vide pour attraper ses proies, il se réveilla. Sonné, bien que ce ne fut pas la première fois, il mit du temps à réaliser que tout cela n’était qu’un rêve. L’intrus se trouvait toujours en-face de lui, cette fois-ci complètement retournée, et visiblement intriguée par ce qu’elle venait de voir.
Ven 22 Juil - 14:09
Plusieurs passions animent le cœur de la jeune femme : aider son prochain, guérir des patients, vivre de beaux instants avec ses proches, dévorer des romans d’amour un peu honteux… Lorsqu’elle peut mélanger plusieurs de ces passions, c’est encore mieux. Alors, voyager un bon livre sous les yeux, en compagnie de son frère pour l’escorter et passer du temps ensemble, pour aller chercher des ingrédients utilisés dans l’art de son métier, que pouvait-elle espérer de plus ? Au comble du bonheur, la fratrie Vespertin passa la frontière de leur nation, Aramila, pour se rendre sur les terres étrangères d’Opale.

Ce n’était pas la première fois qu’elle effectuait ce voyage en particulier, pas plus que ce n’était pas la première fois que Cardan lui-même se chargeait de sa sécurité. C’était un genre de tradition entre eux, depuis quelques années. À Opale, comme à Xandrie, ou encore à Epistopoli, on trouve des choses sur lesquelles on ne peut, ou très difficilement, mettre la main à Aramila. Et les réserves du médecin approchant du néant, une nouvelle incursion devint vitale. Sans compter sur le fait que le frère et la sœur, très fusionnels et bien souvent forcés de vivre séparés pendant de longues périodes, ressentaient ce fort besoin de se retrouver, d’évoquer le bon temps avec nostalgie, de rire de tout et de rien.

Puisque Cardan était un soldat aguerri, pas besoin de s’encombrer d’une tierce personne pour voyager. A lui seul, il espérait bien défendre sa sœur face à une éventuelle embuscade, si un tel malheur devait leur arriver. Évidemment, le souvenir du meurtre de leurs parents, sauvagement attaqués en plein désert par des brigands assoiffés de vol et de sang, ne cessait de les hanter tous les deux. Néanmoins, l’une voyait son frère comme un héros invincible, l’autre avait confiance en ses compétences martiales et son statut de Soldat de la Garde Sacrée. Chacun hissé sur un cheval, ils firent tranquillement le voyage, s’arrêtant chaque soir dans une auberge pour satisfaire leurs besoins de repas, d’hygiène et de repos. Et au vu des moyens financiers dont ils disposaient, c’est tout juste si on ne leur déroula pas le tapis rouge dans chaque établissement où ils firent une halte.

La forêt de l’Arbre-Dieu n’avait guère plus de secrets pour eux, tant ils étaient venus y prélever des herbes précises, des écorces pour des décoctions, et même quelques insectes pour les recherches d’Amara. Recherches qu’elle se gardait bien de montrer au commun des mortels sur Aramila. Comment dire, pour un peuple traditionnel et en retard, cela pourrait relever de… l’hérésie. Pourtant, malgré cette assurance qu’ils avaient en ces terres étrangères, ce jour-là, ils se perdirent de vue. Trop préoccupée par la recherche active d’une plante permettant une chute rapide de la fièvre, Amara s’éloigna de son frère et ce dernier la perdit de vue.

Tandis que le soldat abandonna son ramassage de fleurs en tout genre pour retrouver sa sœur, cette dernière s’était perdue dans la contemplation de la nature, de papillons virevoltants autour d’elle, se posant sur certaines herbes, comme pour lui rappeler combien elles sont précieuses et utiles. Elle se penchait pour admirer le spectacle sous ses yeux, comme une bienheureuse, pleine d’innocence. Le problème d’Amara, c’est qu’elle se perd facilement, oublie les dangers, fait confiance trop facilement et a un instinct de survie proche de zéro. Alors qu’elle se plaisait ici, sur le point de ramasser l’herbe contre la fièvre, elle ne remarqua pas l’arrivée d’un individu près d’elle. Ce n’est que lorsqu’elle l’entendit parler, qu’elle se détourna de sa cueillette.

- Cardan ? Demanda-t-elle, par pur réflexe.

Cet homme n’avait rien de son frère, il était plutôt l’opposé physiquement. Sa voix non plus n’aurait pas dû la faire douter. Quant à son attitude… Et bien, il y avait de quoi se poser des questions. Outre cet étrange monologue, il y avait de quoi frissonner. Car oui, dans ses mots, elle retint surtout le passage évoquant la mort, alors même qu’il était armé d’une lame qu’elle ne désirait pas voir de trop près.

Interloquée, partagée entre la surprise et l’incompréhension, elle en perdit toute répartie. À qui parlait-il ? Que lui voulait-il ? Et puis où se trouvait Cardan ? Soudain, elle n’était plus aussi à l’aise en ces lieux. Elle n’avait plus l’impression de reconnaître son chemin. Sans son frère, à Opale, tout lui semblait plus difficile et dangereux. Pourquoi diable n’avait-elle pas été plus attentive et s’était-elle éloignée ? Pourquoi Cardan n’arrivait-il pas pour la sauver ? Pourquoi le comportement de cet homme n’avait rien de logique ou cohérent ?

Le spectacle sous ses yeux, elle ne saurait l’expliquer. Intriguée par cette scène surréaliste, elle se releva pour observer l’homme qui parlait seul, puis soudain perdit pied et s’agita, comme animé d’un désir de se battre avec… le vent. Cela dura un certain temps, mais pas assez pour qu’elle ait l’idée de prendre la fuite ou de hurler le prénom de son frère. L’inconnu sembla rapidement s’apaiser pour revenir à lui. À voir son incompréhension et son regard, il donnait l’impression d’avoir soudainement perdu connaissance et de revenir à lui, sans savoir ce qui venait de se dérouler.

- Monsieur, vous allez bien ?

Là encore, plutôt que d’avoir un comportement normal, de chercher une échappatoire et de ne pas avoir affaire avec un tel individu, Amara allait à contre-sens. Car malgré la peur de l’inconnu, la crainte d’ignorer un homme en détresse, en proie à une crise, sous le joug d’une pathologie qu’elle ne saurait nommer, était bien présente. Son âme de médecin ne pouvait ignorer autant de signaux d’alerte.

- Voulez-vous mon aide ?
Sam 23 Juil - 4:52
Désemparé, Artémis regarda la demoiselle avec des yeux dépités.

« Ai-je l’air de bien me porter, demoiselle ? Quant à savoir si pouvez m’aider, je crains hélas que ce ne soit possible. Je suis condamné depuis trop longtemps et il est temps pour moi de l’accepter, dit-il en regardant les deux paumes de ses mains, le regard livide. »

Pour ne pas complètement se démoraliser, il observa la demoiselle d’un peu plus près. Une jeune femme. Peut-être dix ans de moins que lui. Elle semblait en effet cueillir certaines plantes, fleurs, certes un peu trop loin de chez elle, mais ce n’était pas un crime. Il identifia les espèces végétales pour déterminer les intentions de cette inconnue.

« Vous êtes cuisinière dans un grand restaurant d’Opale, à la recherche d’épices ? Ou peut-être médecin ? Vous n’avez pas entendu les nouvelles ? La forêt regorge de monstres et beaucoup de voyageurs ne reviennent jamais. Je retrouve malheureusement nombre de dépouilles déchiquetés ou rongés par les vautours. »

C’était l’une de ses préoccupations actuelles. Il avait beau sillonner sa forêt, elle était trop dense, les touristes nombreux et les attaques incessants. Serait-ce l’œuvre d’un démon ? Les nouvelles parlaient d’une expéditions organisées par la Guilde des Aventuriers pour trouver la cause de ces meurtres et l’arrêter. Artémis n’était pas vraiment optimiste au sujet de leur croisade. Tant d’éléments venaient perturber sa tranquillité et sa Nebula n’appréciait guère tous ces mouvements. Elle lui faisait bien comprendre. Mais le chevalier noir s’était promis de protéger cette forêt, mais aussi tous les êtres venant s’y recueillir.

« Êtes-vous seule ? J’ai cru entendre une seconde personne, tout à l’heure. En temps normal, j’aurais dit que cela me rassurerait de vous savoir accompagnée, mais je crains que ce ne soit suffisant. Je vous suggère quand même de rentrer avant la tombée de la nuit. Passée cette limite, vous serez à la merci de tous les prédateurs et même moi ne pourrai vous défendre. »

La forêt était trop agitée. Artémis lui-même la craignait ces derniers temps. Il sentait cette désagréable sensation, cette odeur pestilentielle du mal en personne. Le continent d’Uhr courrait un grave danger. Lequel ? Il l’ignorait totalement et ne se fiait qu’à ses sens. Ainsi, plus que jamais, le vagabond se tenait sur ses gardes. La blondinette ne pourrait pas se protéger des plus faibles prédateurs de la forêt. Il prit la décision de rester avec elle le temps de sa cueillette. Son stock de provision était fait. Rien ne le retenait. Cela ne l’amusait guère d’avoir de la compagnie, mais changerait un peu son quotidien solitaire.

« Je vous accompagnerai le temps de vos recherches. Ne perdez pas de temps, lady. »
Lun 25 Juil - 5:35
Elle ne saurait dire si cette proposition avait touché ou exaspéré son vis-à-vis. Peut-être que cet homme, visiblement rongé par un mal inconnu, n’avait pas l’habitude qu’on lui tende la main pour l’aider. Ou alors, justement, c’était monnaie courante et cela avait le don de l’agacer. Amara n’était pas prête de lâcher l’affaire. Malgré la froideur dont il faisait preuve, ses paroles incisives ne la découragent pas. Vraisemblablement, cet homme n’allait pas bien et il en avait parfaitement conscience, il n'essaya même pas de feindre que l’étrange scène ne venait pas de se dérouler sous les yeux surpris du médecin.

Alors oui, face à cette détresse, ce regard résigné, l’Amarilianne ne peut se résoudre à simplement ramasser ses affaires et passer son chemin. L’étrangeté de cette rencontre a eu de quoi la dérouter et si elle décidait de s’en détourner, par instinct de survie, désintérêt ou égoïsme, l’expression de cet inconnu la hanterait plusieurs nuits au moins. Néanmoins, consciente de ses limites et de ses propres faiblesses, elle jugeait inutile de vendre le moindre espoir à cet homme. Amara n’était pas femme à se vanter de pouvoir guérir tous les maux et offrir la paix à ses patients, pas plus qu’elle n’était du genre à promettre des paroles en l’air.

- J’en suis navrée, Monsieur. Puissiez-vous trouver repos et apaisement.

Le regard de son vis-à-vis détaillait son visage puis les divers brins entre ses mains et encore à ses pieds, en tas après leur cueillette. Il en profita pour l’informer sur les dangers qui rôdent dans les parages. Bien évidemment, Cardan, lui, était parfaitement au courant, voilà pourquoi il insistait toujours pour partir armé, en forme et surtout rester auprès de sa sœur. Voilà pourquoi elle avait commis une grossière erreur en s’écartant du bon chemin, de sa protection, pour vaquer à sa cueillette. Elle en entendrait parler un bon moment, certainement.

- Oui, paraît-il que ces bois sont le refuge de nombreuses créatures et autres dangers. Le Divin m’accompagne et j’ai eu la chance de ne croiser ni l’un, ni l’autre. Puisse-t-Il me garder sous sa protection.

Sans totalement répondre à ses questions, Amara venait déjà de donner quelques indices quant à son identité. Peu à Opale doivent s’exprimer en ces termes concernant une quelconque religion. Un trait bien commun pourtant dans sa propre nation d’Aramila. Néanmoins, inutile d'en dire plus à ce sujet. Les relations entre Opale et Aramila étant ce qu'elles sont, ce serait se tirer une balle dans le pied.

- Mon frère est avec moi, mais je l’ai perdu de vue. En vous entendant approcher, je vous ai confondu avec lui.

Un moyen de rassurer l’inconnu, mais également un moyen de se protéger. En affirmant être sous la garde d’un homme, son frère de surcroît, Amara pouvait se sentir moins en danger. Eut-il fallu que ce soit le cas, mais comme à son habitude, elle ne craint rien… Non pas qu’elle soit une grande aventurière amatrice de sensations fortes, mais elle ne voit le mal nulle part, pas même lorsqu’il est sous ses yeux, sous la forme d’un homme sous le joug d’une Nébula. Rien n’est mauvais et derrière chaque zone d’ombre se trouve de la lumière. Ainsi, il n’y avait aucune menace derrière cette révélation.

- L’auriez-vous croisé, Monsieur ? Je crains qu’il ne s’inquiète, je suis assez tête en l’air et j’ai quitté le chemin. Je ne voudrais pas qu’il s’épuise en me cherchant. Nous suivrons vos conseils et quitterons les bois avant que le soleil ne se couche.

Objectivement, rien n’allait dans cette conversation. Cet homme, malade, avait pris la parole pour tantôt évoquer un meurtre, tantôt lui proposer son aide. Et cette jeune femme, plutôt que de se méfier, était prête à accepter sa protection. Il y avait de quoi fuir, pourtant, Amara retrouva le sourire, dégagea l’une de ses mains pour la tendre vers son vis-à-vis et se présenter poliment.

- Monsieur, je vous remercie pour votre sollicitude. Puis-je connaître votre nom ? Vous pouvez m’appeler Amara. Amara Vespertin, je suis médecin et si cela ne vous dérange pas, j’aimerais encore collecter quelques écorces pour mes remèdes, en votre bonne compagnie, avant de retrouver mon frère.

Elle brillait, autant que le soleil d’Aramila en lui serrant la main. Cette excursion prenait un tout nouveau tournant et la fascinait. Comme il était plaisant de pouvoir rencontrer de belles personnes ! Car pour elle, après cette proposition, l’inconnu ne pouvait qu’avoir bon fond, malgré son mal étrange. Maintenant qu’elle lui avait glissé être médecin, peut-être se sentira plus à l’aise pour lui en parler ?

La jeune médecin ramassa sa besace de cuir, déjà bien chargée en herbes et y ajouta le contenu de sa main. Puis, elle la passa au-dessus de sa tête, pour qu’elle tienne en croisant sa poitrine. Les yeux pétillants de malice, elle s’approcha de l’homme pour se mettre en route.

- Êtes-vous un chasseur ? Ou peut-être un gardien de ces lieux que vous semblez bien connaître ?
Ven 5 Aoû - 12:25
Artémis fut légèrement décontenancé par la bonté et la bienveillance émanant de ce petit être si fragile. Il était conscient qu’il était le seul à pouvoir soigner ses maux, ou alors ils seraient incurables. Le regard de cette femme montrait une forme de déception à l’idée de ne pouvoir aider un malade. Bien qu’elle ne lui laissa aucun espoir, au fond d’elle, la détermination de trouver un remède vivait ardemment. Le vagabond sourit sans ne rien ajouter. Il fut davantage amusé par la situation quand il comprit que cette dernière était également croyante, persuadée qu’une entité supérieure, résidant on ne savait où, la protégeait du mal environnant. Une fois encore, il ne dit rien à ce sujet et se pencha surtout sur les espèces en question.

« Certaines des espèces sont inoffensives et prennent la fuite dès lors qu’elles entendent du bruit. Les plus redoutables n’apparaissent que très peu le jour. »

C’était surtout l’idée de devoir marcher la nuit qui inquiéta Artémis. Cette possibilité était envisageable du fait que la voyageuse n’a plus vu son frère depuis quelques temps. La journée commençait à peine, alors l’inquiétude était sans doute exagérée. Mais seule une personne ayant déjà eu à faire à ces monstres pouvait réellement manifester de l’inquiétude à l’idée d’être dans cette forêt, la nuit, accompagnée de non-combattants. Où son frère pouvait-il se terrer ? Le vagabond tourna négativement la tête pour exprimer sa réponse. Durant sa chasse, exceptée cette demoiselle, il n’avait vu personne.

Il songea à divers endroits où se promenaient les chercheurs, peut-être s’y trouverait-il. Puis il fut rapidement sorti de ses songes lorsqu’Amara lui posa une question sur ses fonctions. Très bonne question, pensa-t-il. Par où commencer ? Il l’ignorait. Il eut un long silence dans lequel le chevalier noir réfléchit. Un de ses nombreux moments d’absence. On pourrait éventuellement croire qu’il réfléchissait à une réponse à la question posée, mais il était en réalité « ailleurs ». Heureusement, il revenait généralement assez vite.

« Pour survivre et me nourrir, je suis obligé de chasser de fait. De là à me définir comme chasseur, je l’ignore. Cette forêt n’a pas besoin d’un gardien, elle se préserve très bien toute seule. Les humains n’y sont pas particulièrement les bienvenus et les différentes espèces présentes leur font bien comprendre. »

En disant cela, Artémis réalisa qu’il ne se considérait pas réellement comme un être-humain. Par ailleurs, chose assez étonnante, les être-vivants présents dans ces lieux l’avaient plus ou moins acceptés comme résident et prédateur potentiellement dangereux.

« En bref, je ne suis qu’un vagabond, un ermite, éloigné de la population. C’est un choix personnel largement justifié par mes déviances. Tu as été témoin d’une partie d’entre elles. Qui voudrait de moi dans un monde civilisé ? »

Ils reprirent la marche. Le vagabond habitait une grotte située au pied de la colline aux Corneilles, à l’est de l’Arbre-Dieu. Il proposa donc de continuer vers le nord-est, en direction d’Opale, en longeant la colline. Son frère devait se trouver quelque part dans cette direction. L’Arbre-Dieu était un endroit dégagé mais dangereux. Les voyageurs se retrouvaient souvent coincés au pied de l’arbre, complètement à la merci des plus redoutables prédateurs. Artémis en sauva quelques-uns, mais beaucoup succombaient tous les mois. Son frère, un minimum intelligent, évitait certainement cette zone. C’était plutôt Amara qui s’en rapprochait dangereusement.

Artémis ne lui dit rien mais l’observa quand même d’un œil curieux. Était-elle à ce point insouciante ? Les plantes aux effets les plus prononcés se trouvaient, malheureusement pour elle, au cœur de la forêt. C’était bien la raison pour laquelle ces plantes se faisaient rares : personne n’y allait. Il se demanda si elle développait encore des remèdes ou n’appliquait que des recettes déjà existantes. Faisait-elle de la recherche ? Tant de questions qu’il n’osa poser.
Jeu 11 Aoû - 16:42
Rassurée par les dires de celui qu'elle prenait pour un chasseur, Amara se persuada que nul prédateur ne rôdait en pleine journée pour la cueillir telle une fleur fragile à l'aide de ses crocs. Se bercer de naïveté est tellement plus simple sue d'imaginer le pire, un mode de pensées auquel elle a très rarement recours, préférant l'optimisme en toute occasion.

- Le soleil est haut, nous ne craignons rien, par la grâce de Dieu.

Son sourire était sincère alors qu'elle levait les yeux vers l'astre diurne, lumineux et chaleureux, repoussant les créatures et autres maléfices, pour protéger les enfants du Seigneur. C'était là sa vision d'un monde créé par Dieu pour l'humanité. Un avis très peu partagé par les temps qui courent, surtout en dehors d'Aramila. Néanmoins, il lui était impossible de penser autrement et de feindre de croire en la science purement et simplement. Sa foi avait une place importante et il ne lui semblait pas qu'elle en faisait trop en la citant de temps en temps. Si cet homme ne supportait pas l'idée d'entendre parler de Dieu, libre à lui de le faire savoir. Car, même s'Il a une place importante dans son cœur, jamais elle ne forcera autrui à reconnaître Sa souveraineté. Chacun est libre de penser et elle ne désire aucunement forcer son opinion. Dans sa volonté de faire le bien autour d'elle, Amara est prête à taire son adoration pour le Tout Puissant si cela peut permettre d'apaiser une conversation, car seul cet amour sincère dans son cœur est le plus important.

Le visage de son vis-à-vis lui indiqua d'un geste qu'il n'avait pas remarqué la trace de son frère. En pinçant ses lèvres, une nouvelle vague de remords s'insinua dans l'esprit de la doctoresse. Qu'il ne lui soit rien arrivé par sa faute… Elle avait bien plus de chances de se retrouver en difficultés, inexpérimentée, douce et incapable de faire du mal et de blesser. Son frère, lui, était un soldat de la Garde Sacrée d'Aramila, formé au combat comme à la survie dans les dunes arides de leur patrie. Il n'aurait sans doute pas de problème, surtout si aucune créature ne pointe le bout de son museau en plein jour. Tout de même, la jeune femme espérait le retrouver au plus tôt pour dissiper ses craintes.

- Je suis certaine que mon frère se porte bien. Dit-elle, pour rester positive et se rassurer, plus que pour répondre qu'elle imaginait être un chasseur.

D'ailleurs, il mit fin à ses doutes à ce sujet. Certes, il chassait, mais il n'était pas un professionnel, payé pour réguler la faune locale. Quant au reste de son discours, il avait de quoi faire froid dans le dos. La nature de ce bois savait se défendre face à l'envahisseur. Néanmoins, la gentille, la naïve Amara, n'ayant jamais rencontré la moindre hostilité en ces lieux, refusa d'y croire.

- Vraiment ? Je n'ai jamais croisé le moindre prédateur. Et j'ai beau me servir dans la nature, cette dernière n'a jamais manifesté la moindre menace à mon égard.

Elle était sincèrement étonnée. Certains diront qu'elle se vantait. Nenni. Elle se sentait plutôt très honorée par la tolérance de la faune et la flore locale et se promit silencieusement de prendre encore plus de précautions en marchant et d'être davantage soigneuse et respectueuse lors de ses cueillettes. La terre offre et Amara est consciente de ces beaux présents. Rien ne lui est dû, sous prétexte qu'elle fait partie des formes les plus intelligentes et évoluées d'Uhr.

- Vous devez être bien accepté par cette belle nature si elle vous laisse faire votre vie sur ses terres ?

Une question ? Pas vraiment. Plutôt une affirmation, basée sur les dires de l'ermite, car il venait de se décrire ainsi. Un terme peu élogieux, que beaucoup trouvent négatif et pas franchement flatteur. Pourtant, il n'avait pas hésité à l'utiliser et cela ne semblait pas particulièrement le perturber. Certains trouveraient le personnage définitivement dérangé, mais pas Amara. Il ne faisait qu'attiser sa curiosité. Il la persuadait également qu'il était un être exceptionnel, à sa façon. Ce qu'il nommait déviances, c'était pour elle des différences. À Aramila les différences sont tolérées, si bien que toutes les espèces peuvent trouver un havre de paix dans le désert, si bien sûr, elles ne font pas l'apologie de la science et de la myste à tout bout de champ.

- Je vous trouve rude avec vous-même. Je ne vous vois pas comme un déviant, simplement comme une personne différente. La différence n'est pas une mauvaise chose, elle nous permet d'être plus tolérants et plus ouverts aux autres et au monde qui nous entoure. Grâce à la différence, nous pouvons cultiver notre sensibilité. Il y a des endroits où vous trouveriez votre place, j'en suis certaine. Ou alors, auprès de certaines personnes qui vous accepteront comme vous êtes.

Une vision toujours très optimiste, mais surtout naïve. Tant pis, la doctoresse était sincère. Pas complètement stupide, elle se doutait que ce genre de discours provoque souvent l'hilarité autour d'elle. Il pourrait bien rire et se moquer, elle ne regrettera pour rien au monde de lui avoir donné son avis, en toute bienveillance.

Cette promenade, car c'en était bien une pour elle, continua sans se précipiter. Lorsqu'elle le pouvait, la doctoresse se penchait pour examiner des feuilles ou encore des baies. Et quand elle était sûre d'elle, elle en récoltait pour de futurs remèdes. Le cas contraire, elle se promettait d'étudier davantage pour reconnaître de nouvelles espèces à sa prochaine visite. Il n'y a pas de place pour le doute lorsqu'il s'agit de sauver des vies. La médecine ne pardonne pas lorsque l'on se trompe avec un traitement.

Ne se doutant pas qu'elle prenait peut-être un temps précieux à son vis-à-vis, elle décida de revenir sur le sujet des différences.

- Si votre vie ici ne vous plaît plus, il y a des nations qui seraient prêtes à vous accueillir. Tout le monde ne voit pas d'un mauvais œil vos particularités et puis vous aspirez peut-être à vous établir dans un lieu moins isolé ?
Ven 19 Aoû - 6:24
Une grande croyante, pensa Artémis en écoutant silencieusement la demoiselle. Il était certainement fou mais encore stupide. Le vagabond reçut une bonne éducation et sa culture dépassait largement ses fonctions actuelles. Il savait que de nombreux cultes existaient, que beaucoup y croyaient réellement, sans ne jamais porter de jugement à leur égard. Lui, ne croyait en rien, sauf peut-être ce qu’il voyait de ses propres yeux. Mais lui parler d’un être supérieur qui aurait tout créé, sans façon. Un être supérieur aux autres leur ferait subir toutes ces choses ? Certains parlaient d’un test pour être accepté dans son paradis. Artémis restait assez sceptique face à cette réponse.

« Les espèces attaquent uniquement quand elles se sentent en danger… ou qu’elles ont faim. Vous ne présentez aucun danger pour personne, mademoiselle. Pas besoin d’être un animal pour le sentir. Si vous ne faites que de la cueillette et que les prédateurs sont nourris, vous ne craignez rien. Il y a un gros facteur chance. »

Il songea une nouvelle fois à son frère, mais celle-ci semblait persuadée de sa survie. Son frère n’était peut-être aussi douce que cette dernière. Un chasseur ? Un chevalier ? Un membre de la garde royale ? La dernière option semblait peu probable. La garde royale ne quittait leur souverain. Il décida d’effacer cette pensée de sa tête. Laisser sa sœur seule n’était cependant pas très judicieux.

« Détrompe-toi, ma chère. La nature m’accepte parce que je lui ai montré que j’étais aussi un prédateur dangereux. Mes premiers mois dans cette forêt n’ont pas été aussi paisible que cette belle journée. Les bêtes connaissent mon apparence, mon odeur et savent que je suis une source de danger pour elles. Pourtant, crois-moi, les plus dangereuses d’entre elles ne me trouvent juste pas assez appétissantes. Et tant mieux. »

Artémis réfléchit intensément aux dernières paroles de la demoiselle. Intégrer une quelconque civilisation n’était pour l’heure pas possible. Ses démences, crises de folie, le contrôle instable de sa Nebula, des souvenirs lointains qui se mélangeaient parmi tant d’autres… Le chevalier noir ne pouvait pas vivre en compagnie de ses pairs. On le rejetterai aussitôt. Sa tête lui fit de nouveau un mal de chien. Encore des souvenirs. Tout l’attirait à chercher des réponses sur Opale. Il n’était pas prêt. Il ne s’en sentait pas capable pour l’instant. Sa Nebula le retenait ici. Fermement. Intensément. Elle lui criait des ordres, lui donnait des migraines, jusqu’à ce qu’il acceptât de rester dans cette forêt.

« Tu es gentille, Amara, commença par dire le vagabond. Cependant, tu ignores encore totalement à quel point ma compagnie peut être inconvenante. »

Des pas furtifs. Il se retourna dégaina sa lame et para un coup venu d’en-haut. Un homme maniant l’épée, vêtu comme un chevalier. Artémis, tout en contenant l’attaque de son adversaire, observa attentivement les yeux de ce dernier. Les mêmes qu’Amara. Il s’agissait de son frère. Il voulait simplement protéger sa sœur d’un homme, d’une bête, à l’apparence menaçante. Le vagabond songea tout de même qu’il n’aurait jamais dû laisser sa sœur cueillir ses plantes toute seule. Dans ce genre de situation, Artémis savait pertinemment que parlait ne servirait à rien. Le chevalier ne l’écouterait pas. Seule une intervention d’Amara pourrait calmer la situation.
Sam 17 Sep - 10:59
Il l’avait perdue de vue. Une erreur grossière, celle d’un débutant et non le comportement d’un soldat ambitieux. Ne voulant pas céder à la panique, il avait tout simplement lancer son prénom dans le vent, attendant une réponse de la part de sa sœur. Rien ne lui parvint aux oreilles, évidemment. Il fallait s’y attendre, ce n’était pas la première fois qu’Amara trouvait le moyen de plonger dans ses pensées, de ne plus en sortir et de s’écarter du droit chemin. Elle ne pensait pas à mal, mais elle était bien pénible. Une épine dans le pied. Une très jolie épine, qu’il aime de tout son être, mais tout de même, elle avait le don d’être agaçante.

Parce que la situation se répétait bien trop souvent, le soldat sentait sa patience s’étioler à grande allure. Lui-même quitta le sentier qu’ils suivaient, avant qu’ils ne se séparent, pour s’enfoncer dans la forêt et répéter, encore et encore, le prénom de sa petite sœur. Toujours aucune réponse pour le rassurer, pas de présence alentour, il fit donc le choix de la chercher en silence. Avec la chance qu’elle a et son instinct de survie médiocre, elle pourrait très bien être en ce moment-même en très mauvaise compagnie, à négocier un kidnapping calme. Si une telle chose se déroulait, il aurait tout intérêt à faire silence pour débusquer l’imbécile qui s’en prendrait à elle.

À l’aveuglette, mais capable de revenir sur ses pas, il traversa un certain temps la forêt jusqu’à percevoir au loin quelques paroles. Rien de bien concret, pas de cri ou de larme. Néanmoins, à mesure qu’il s’approcha, son oreille retint quelques paroles ici et là. « [...] je lui ai montré que j’étais aussi un prédateur dangereux […] je suis une source de danger pour elles » Et le sang de Cardan ne fit qu’un tour, sans même prendre le temps d’y penser, il se retrouvait déjà avec son épée entre les mains, à contourner silencieusement cet inconnu. Quand il comprit qu’il venait d’être repéré, il bondit en avant et les lames des deux hommes s’entrechoquèrent. Une poignée de secondes s’écoula avant qu’Amara ne brise le lourd silence.

- Mon frère, ne lui fais pas de mal, je t’en prie ! Il m’a escorté dans cette forêt alors que j’avais perdu ta trace…

Son œil valide quitta quelques instants le visage de son vis-à-vis, pour contempler celui de sa petite sœur, cette poupée de porcelaine, dont aucune larme ne venait ruiner le minois, ni aucune blessure. Reprenant son sang-froid, le soldat s’écarta de quelques pas pour jauger l’inconnu. Son apparence n’avait rien de celle d’un innocent en quête de bonne action. Cet homme n’inspirait aucune confiance, pas étonnant alors qu’Amara se plaise en sa compagnie pour converser... Il faudrait, une énième fois, qu’il lui implore de faire preuve de plus de méfiance dans ses rencontres. Il coula un nouveau regard vers sa sœur. Elle serrait entre ses mains quelques brindilles, pleine d’espoir dans son regard que ce malentendu cesse au plus vite. Il ne voyait aucune trace de sang, aucune trace de bousculade, aucune once d’inquiétude, si ce n’est pour cet inconnu.

- Bien.

Il rangea son épée dans son fourreau, aussi silencieusement que lorsqu’il l’avait dégainé. Son unique œil perçant n’était pas pour autant plus amical alors qu’il s’adressa à cet homme.

- Je vous remercie d’avoir pris soin de ma sœur, Monsieur. Amara, nous rentrons.

Il n’avait qu’un désir, quitter au plus vite ces bois, cet homme, les menaces invisibles autour d’eux, prêtes à bondir sur sa poupée si fragile, pour lui faire du mal à lui. Il avait remercié cet homme, c’était bien assez, son ego n’en supporterait pas davantage. En regardant sa sœur, la sévérité dans son regard s’atténua, alors qu’il tendit une main vers elle, pour qu’elle s’accroche à son bras et qu’ils quittent les lieux, selon son bon désir à lui.
Sam 17 Sep - 11:28
Alors il n’y avait pas réellement de notion de respect, même dans la nature. Une fois de plus, Amara se berçait d’illusions, se plaisait à penser que si les humains ne sont pas capables de respect dans bien des situations, la nature, elle, surpasse cette race. L’intégralité d’Uhr est soumise à la même hiérarchie, dans laquelle les plus forts inspirent la crainte aux plus faibles. Et la doctoresse ne représentait aucun danger et donc pas même un semblant d’intérêt pour les pires espèces peuplant cette forêt. Bien qu’elle n’ait pas un gros ego, elle sentit tout de même une pointe de vexation. Ce n’était pourtant une surprise pour personne, elle ne souhaitait de mal à quiconque et si elle devait passer à l’acte, elle serait sans doute celle qui en pâtirait le plus. C’est cette franchise, presque indélicate, de la part de son vis-à-vis, qui lui fit du mal.

- Je vois… Dit-elle tout bas, une certaine gêne sur son visage. Inspirant un grand coup, elle reprit : Et bien au moins, personne ne viendra m’attaquer dans le dos alors ! Mes chances de survie sont donc bien plus grandes que la plupart des gens !

Voir le verre à moitié plein, un optimisme à toute épreuve, voilà ses qualités. Elle n’était ni bonne à l’épée, ni à la dague, ni même au couteau à beurre, mais au moins, elle ne serait jamais prise pour cible pour sa dangerosité et gagnait ainsi à être ignorée le plus souvent ! Être une poupette était donc une force, un avantage selon le point de vue.

À en croire ses paroles, celui qu’elle avait pour le gardien de ces lieux ou encore un chasseur, avait su gagner sa place dans cette forêt. Bien sûr, il ne s’étendit pas sur les détails, mais en dit juste assez pour lui faire comprendre qu’on le craignait assez pour le laisser évoluer dans ces bois. Puisque d’apparence elle ne lui trouvait rien de très effrayant, la doctoresse se douta que ce respect devait avoir un lien avec cette pathologie, à défaut de savoir l’appeler autrement, qu’elle avait constaté auparavant.

Sur le sujet d’une nouvelle vie dans une autre nation, l’homme sembla presque réfléchir quelques instants. Lui avait-elle donné de quoi nourrir ses doutes ? Était-ce un réel désir enfoui en lui ? Il conclut simplement en lui faisant comprendre que sa compagnie pouvait être problématique. Cela oui, elle ne lui ferait pas l’affront de le nier. Dans certaines sociétés très réglementées et surveillées, des écarts de comportement seraient mal vus. Pas de la part d’Amara, au grand cœur, à la tolérance sans fin et au penchant pour les gens délaissés, mal aimés ou encore renfermés. Elle ne trouva pas quelle formule lui répondre pour le rassurer, un événement les arracha tous les deux de leur conversation.

Dans le dos de son vis-à-vis, son frère était apparu, l’épée à la main et prêt à assener un coup terrible à l’inconnu. Ce dernier, fort heureusement, devait être pourvu de sens très aiguisés, si bien qu’il avait paré ce coup sans trop de difficulté. Impressionnée par la discrétion de son frère et l’ouïe fine de l’homme, elle en oublia qu’elle assistait à ce que l’on pourrait décrire comme le début d’un combat. Il fallait y mettre un terme et elle le savait, seule sa douce voix pourrait faire revenir à la raison Cardan…

- Mon frère, ne lui fais pas de mal, je t’en prie ! Il m’a escorté dans cette forêt alors que j’avais perdu ta trace…

Le temps pour lui de s’assurer de la bonne santé de sa sœur et il s’écarta de l’inconnu. Tous les deux se tenaient prêts à remettre ça si l’autre effectuait le moindre mouvement suspect. Constatant sans doute qu’il n’y avait pas de danger, son frère rangea son arme et remercia l’homme pour son aide. Puis, d’un ordre sec et difficile à discuter, il fit part de sa volonté de rentrer à Amara. Pour la forcer à se plier à ses règles, il lui tendit la main. Elle l’observa quelques secondes. Son regard était plus doux et chaleureux à son attention, mais en face d’elle ce n’était pas son frère, c'était le soldat. Et lorsque cette image lui apparaissait, elle savait fort bien que les remontrances ne seraient pas plaisantes. Le suivre et rentrer, ce serait synonyme de remarques et autres morales visant à la rendre plus méfiante, moins tête en l’air, plus responsable.

- Devons-nous vraiment laisser notre ami seul après ce service ? Peut-être pourrions-nous partager un repas en sa compagnie pour le remercier, Cardan…

Le choix ne lui revenait pas vraiment à lui, mais plutôt à l’inconnu qu’il avait bien failli empaler, pour la simple raison qu’il s’était trouvé en compagnie de la doctoresse. Voulant arranger la situation et passer un retour un peu moins mauvais qu’en partant sur-le-champ, elle n’avait pas trouvé une meilleure idée que d’inviter… Comment s’appelle donc « son ami » ?

- Qu'en dites-vous, Monsieur... ?
Dim 18 Sep - 16:29
À ce simple échange, Artémis comprit que ce soldat n’était pas un simplet comme il put en rencontrer par le passé. Un fonceur protégeant sa sœur et prêt à surmonter toutes les épreuves pour le secourir. Lorsqu’il se sut repéré, il préféra bondir plutôt que de s’éloigner. Ce genre d’action déterminait relativement le tempérament d’un individu. Impulsif. Néanmoins, il ne s’agissait ni plus ni moins que d’un simple soldat qui, en l’absence de menace, rangeait ses armes pour adopter une attitude plus noble. Quoi que tous les soldats ne respectaient les règles de bienséance et s’en prenaient volontiers à des personnes innocentes. La Nebula incita soudainement le vagabond à s’en prendre violemment à ce nouvel arrivant. Artémis, lui, résistait tant bien que mal, mais ne put empêcher les tremblements qui devinrent rapidement visibles.

« Ne vous inquiétez pas. », fit-il d’un geste de la main. « Cela m’arrive souvent quand je suis pris de fatigue. » Le souffle court, ces deux phrases furent un effort insoutenable. L’idée de partager un repas avec ces nouvelles connaissances l’intéressait, sauf qu’il ne pouvait pas vraiment anticiper les envies de sa Nebula. C’était pour cette raison qu’il restait dans cette forêt. Cesse donc, Nebula ! Non. Je n’ai pas la moindre raison d’abattre cet homme. Il m’a attaqué parce qu’il pensait sa sœur en danger et a aussitôt rangé sa lame en prenant compte de la situation. Tu règles peut-être les soucis de cette manière d’où mais pas ici !

Amara posa la main sur mon épaule pour s’assurer que le vagabond se portait bien. Au contact de celle-ci, il se redressa calmement et put la rassurer d’un sourire. « Ça ira, maintenant, mademoiselle Vespertin. Si cela ne vous dérange pas, j’accepte votre proposition avec grand plaisir. Mon ventre crie famine et je suis incapable de chasser dans mon état. » C’était un mensonge. Artémis pouvait chasser du gibier avec quarante de fièvre. L’occasion de partager un repas avec d’autres personnes était trop rare pour la décliner si facilement, même pour un solitaire tel que lui. « Je n’ai qu’une modeste grotte en terme d’habitation et de la viande séchée suspendue à l’entrée. Peut-être cueillir des épices, quelques fruits et légumes, tenter d’attraper un lapin pour nous faire un appétissant repas ? »

Il observa le frère d’Amara de manière plus insistante que la première fois, pour tenter de l’analyser de façon plus experte. Une bonne musculature, un regard sombre, une détermination inébranlable… Bref. Un type détestable mais compétent. « Peut-être, Monsieur votre frère pourrait m’aider à récupérer un lapin ou n’importe quelle autre viande ? » Artémis voulait observer Cardan en plein effort. Certainement le chasseur qui le poussait à avoir cette envie. Avant de les accueillir dans sa grotte, le vagabond voulait s’assurer de contrôler la situation, de connaître ses invités. Amara était de toute évidence inoffensive. Hélas, son frère comblait largement ce « défaut ». Comme un animal, Artémis se retrouvait à être craintif et à observer un moment avant de faire confiance.
Dim 25 Sep - 12:14
Malgré ses efforts pour paraître moins froid et rustre dans son regard vers sa sœur, Cardan ne pouvait ignorer l’attitude réservée d’Amara. Son regard était fuyant, elle n’osait à peine croiser son iris, seule survivante d’un moment de fragilité et d’un manque d’attention, il y a plusieurs années de cela. Il l’impressionnait, alors qu’autrefois, il ne faisait que lui inspirer confiance, amour et joie. Le soldat le savait, il avait changé et en prenant de l’âge, il ne s’était pas arrangé comme le ferait un bon vin.

- Amara…

Son prénom franchit la barrière de ses lèvres sans même qu’il n’y songe. Elle savait y faire avec lui, évidemment. Elle n’était pas sa poupée de porcelaine chérie pour rien. La doctoresse connaissait les faiblesses de son frère et ce petit air candide accompagné de sa voix, mal assurée, ne le laissaient pas indifférent. Elle avait fort bien joué son coup, certainement pour gagner du temps, voire même trouver le moyen de sincèrement remercier son gardien, aussi loufoque soit-il. Passablement agacé, sachant qu’il ne saurait trouver un argument pour avorter cette invitation, il agrippa le pommeau de son épée dans un geste presque rageur.

- Bien, puisque tu dois beaucoup à cet homme, nous l’inviterons autour d’un déjeuner. L’auberge qui te plaît tant, sur la route du retour, devrait également plaire à Monsieur.

Sur ces paroles, il se tourna vers le principal intéressé, celui qui détenait le pouvoir d’accepter ou de refuser ce déjeuner en récompense pour sa bonne action. L’homme était en proie à des tremblements, et si Cardan l’avait remarqué inutile de préciser que le médecin parmi les trois humains présents l’avait également vu. Malgré l’invocation de la fatigue, le soldat savait fort bien que sa sœur ne ferait que s’inquiéter. Pour les inconnus comme pour ses amis, elle ne peut s’empêcher de se faire du souci. Et comme si cet homme lui était familier, elle posa sa main sur son épaule, prête à lui proposer son aide. Un geste qui écœura son aîné. L’idée de la savoir plus ou moins proche d’un homme, autre que lui, était tout bonnement dérangeante. Et le sourire, presque chaleureux qu’elle récolta, ne le rassura pas, loin de là.

L’inconnu évoqua l’idée de chasser. Pour un soldat qui doit savoir survivre par lui-même, cela n’a rien de saugrenu. Néanmoins, proposer une pareille activité en compagnie de sa sœur, une femme de rang, cultivée et exerçant la noble activité de la médecine, c’était tout simplement impensable. Là encore, irrité, Cardan ne manqua pas de rappeler qu’il prévoyait plutôt de déjeuner assis à une table, comme des êtres civilisés.

- Ma sœur ne mange que très rarement de la viande. Si nous chassions un lapin pour nous nourrir, elle nous implorerait de le laisser vivre dans la nature.

Un regard vers sa poupée de porcelaine le lui confirma. Néanmoins, il ne s’attarda pas sur son doux visage trop longtemps, autrement, il y lirait la gêne de voir son frère être ainsi froid avec son sauveur.

- Permettez-moi de vous inviter à une table où nous mangerons chaud et délicieusement bien. Ne faisons pas perdre plus d’énergie à ma sœur pour aujourd’hui. Derrière son sourire chaleureux et son envie de bien faire, se cache une fatigue certaine.

Et pour ne plus laisser de choix à quiconque, il entama la marche pour retourner sur le chemin principal, qui les mènera finalement à l’établissement en question. Il dégagea juste assez son bras pour inviter sa sœur à marcher auprès de lui, en le tenant.
Dim 25 Sep - 12:34
Invoquer la politesse avait été un succès. Ou bien peut-être était-ce le résultat de son attitude presque timide et hésitante. Une réussite naturelle ou manipulée, peu lui importait. Amara avait eu gain de cause et son frère concédait à déjeuner en compagnie de son sauveur pour le remercier. Ravie de l’entendre, elle ne manqua pas de montrer sa joie en sautillant sur place et en tapant dans ses mains, l’espace de quelques secondes.

Sa joie s’atténua très rapidement en constatant que leur invité était pris de tremblements. Aussitôt, le médecin prit le pas sur la femme et elle s’approcha pour évaluer la gravité de la situation. Artémis se voulait rassurant et invoquait une certaine habitude en cas de fatigue. Et même si cela lui semblait banal, la doctoresse, elle, ne saurait se satisfaire d’une pareille réponse. Visiblement inquiète, elle transgressa toutes les règles en posant sa main sur son épaule. Le sourire de son gardien était sincère lorsqu’il accepta l’invitation. Évidemment, cela lui fit chaud au cœur, mais elle n’en resterait pas là. En très peu de temps, Amara avait découvert tout un tas de spécificités dont souffrait cet homme et il lui était tout bonnement impossible de passer son chemin à l’issue de ce déjeuner. Une nouvelle qui ne ferait pas le bonheur de son aîné.

Sans qu’on ne lui demande réellement son avis, ni même qu’on lui accorde plus d’attention, sous ses yeux se décida la suite des événements. L’un proposait de la cueillette, de la simplicité, voire même un peu de chasse, une idée qui trouva le moyen de lui tordre l’estomac. L’autre, connaissant le dédain de sa sœur pour la viande, proposait de se rendre dans une auberge, bien connue de la fratrie et très appréciée. La grande différence n’étant pas tant dans le menu, mais dans la manière de s’exprimer. Cardan était très médisant et cela ne manqua pas de rendre mal à l’aise sa petite sœur qui ne parvint pas à placer le moindre argument.

Le soldat mis fin au débat en prenant la route, faisant comprendre à sa sœur qu’il l’attendait à son bras. Les joues piquées par la honte, la doctoresse contourna son gardien, en s’excusant.

- Navrée, mon frère aime toujours que les choses se déroulent à sa façon.

Tout aussi gênée d’avoir ainsi ouvertement critiqué son aîné, la seule famille qui lui reste, elle rejoignit au pas de course le soldat et s’agrippa à son bras. Dans son dos, elle entendit les pas d’Artémis qui, en quelques grandes enjambées seulement, prit place sur la gauche de la doctoresse. Elle se retrouvait, telle une frontière, entre deux nations qui ne sauraient parfaitement s’entendre, par manque de communication.

Le chemin se fit sans le moindre commentaire de la part du soldat. Parfois, Amara demanda à leur invité s’il reconnaissait le chant de tel ou tel oiseau, si une fleur était comestible ou non. Des paroles frivoles pour briser la glace. Les paroles d’une grande rêveuse un peu naïve qui déteste le silence lorsqu’il n’a pour but que d’être pesant. Et lorsqu’elle commençait à ressentir de la fatigue dans tout son corps, leur périple prit fin et l’auberge, dont le four et la cheminée crachaient une fumée épaisse visible de loin, se dessina à l’horizon comme la promesse d’un bon repas au chaud.

- Une table pour trois, ni trop loin de la cheminée, ni trop près des plus bavards. Demanda le soldat au gérant qui venait de les rejoindre à l'entrée.
Dim 2 Oct - 14:53
Le soldat n’appréciait guère le vagabond et lui fit bien comprendre à plusieurs reprises. Amara vint même s’excuser pour les manières de ce dernier. Artémis l’arrêta d’un geste doux de la main : « Ne vous en faîtes pas. J’ai manqué de délicatesse et de finesse. Votre frère n’a fait que remettre les choses à leur place. » Bonne patte de nature, l’ermite ne s’offusquait pas pour si peu et tenait à rassurer la demoiselle. Par ailleurs, pour un chevalier, qui plus est protecteur de sa sœur adorée, il n’était pas rassurant de voir un individu de bonne consistance, déguisé en chevalier noir, dans une sombre forêt de surcroît. Se cacher du monde, c’était pour lui une protection qui le rassurait.

Perdu dans diverses songes, revenant à lui, de temps en temps, lorsque qu’Amara tentait de détendre l’atmosphère, Artémis se rendit compte qu’ils se trouvaient face à l’auberge en question. Un bon établissement, assez réputé, que le vagabond connaissait très bien de réputation. Ses moyens financiers et son allure sinistre constituaient deux bonnes raisons de ne jamais s’y présenter. Aujourd’hui, invité d’une fratrie de nobles personnes, ce serait sans doute la première et dernière fois qu’il y mettrait les pieds. Les requêtes de Cardan, pour une fois, plurent à Artémis qui appréciait le calme et une température modérée.

« Que désirent ces jeunes gens ? », demanda le serveur.

Par politesse, le chevalier noir attendit que la fratrie prenne commande pour se décider. Avant d’ouvrir la bouche, il se rappela que la demoiselle avait en horreur la viande, du moins l’idée de manger un animal qui vivait une existence paisible avant d’être capturé. « Cet assortiment de légumes et la planche de fromage, s’il vous plaît. Une chope de votre meilleure bière pour accompagner le tout. » Ne pas manger de viande dans un repas était étrange pour Artémis, mais c’était sa manière de remercier le médecin pour sa gentillesse. Il y en avait un, cela dit, qui n’était absolument pas d’accord avec cette commande.

 « Tu joues à quoi ?
- Je mange.
- Et l’entrecôte, là ! T’attends quoi pour la prendre ? Le serveur est en train de se tirer, rattrape-le !
- Amara n’aime pas la viande.
- M’en branle. Je veux de la viande !
- Je m’en moque. Ne t’avise pas de me déranger ou je ne mangerai pas. Et tu sais aussi bien que moi que j’en suis capable.
- Abruti ! J’ai pourtant tout fait pour t’effacer la mém... »


Artémis resta silencieux et calme, comme à son habitude.

 « Je voulais dire…
- Ne dis rien. C’est sans doute mieux ainsi pour tout le monde. »


Ne désirant pas attirer l’attention de ses nouveaux compagnons, le vagabond fit mine de rien. Amara serait certainement inquiète si elle voyait le moindre problème et Cardan aurait envie de le réduire au silence. Ainsi, il décida de laisser cette conversation de côté le temps du repas. « Je tenais à vous remercier pour votre hospitalité. Je n’ai pas l’habitude de côtoyer la ville et ses habitants, comme vous pouvez certainement vous en douter, alors mes manières peuvent parfois sembler déplacée. Croyez en mes bons sentiments, Cardan, je n’ai pas souhaité infortuné votre sœur avec mon idée de chasse. Simplement mes habitudes qui ont pris le dessus. »

Il fit une pause et s’assurer qu’aucune oreille indiscrète se trouvait à proximité. Beaucoup s’étonnèrent de la présence d’un monstre ressemblant à une chauve-souris géante, mais voyant ses bonnes manières, mais surtout ses accompagnants, tous l’oublièrent relativement vite, peut-être quelques minutes.
« Vous êtes un chevalier royal, Cardan, je me trompe ? Votre épée m’a ébloui, tout à l’heure, ce n’est pas donné à tout le monde d’en manier une de cette qualité. Votre maîtrise, votre sang-froid, votre sens tactique… Je serais assez étonné de ne pas vous savoir aux côtés de la royauté pour les protéger des vils scélérats. »

Tels que moi, dira-t-il sûrement, pensa Artémis sans entendre la voix du parasite. Il apprécia ce silence intérieur. Une éternité, peut-être une vie entière, qu’il ne put jouir d’un tel confort. Mais la Nebula comprit certainement que son hôte ne se laisserait pas faire et que son erreur lui sera fatale.
Sam 15 Oct - 4:12
Tous les trois étaient attablés et une carte dans les mains décrivant tous les mets du jour. Habitué à une certaine austérité au sein de la Garde Sacrée d'Aramila, que son rang de simple soldat ne lui permettait pas de chipoter, Cardan n'avait guère de goûts luxueux. Néanmoins, il savait apprécier les bons mets et, indépendamment de la présence désagréable d'une tierce personne inconnue, il ne se laissa pas abattre en commandant.

- Votre tourte au saumon et un verre de vin, pour ma part.

Son attention se tourna vers le visage angélique de sa sœur, alors qu'il renfermait sèchement le menu de l'établissement pour laisser le serveur le prendre. Sans surprise, Amara se laissa tenter par le velouté de légumes du jour et une larmichette de cidre rosé. Le tour de son acolyte de fortune vint alors et il lui sembla que ses paroles n'étaient pas tombées dans les oreilles d'un sourd. Aucune trace d'animal dans sa commande, dont la mort aurait provoqué des haut-le-cœur à sa sœur. Il n'y avait que Cardan qui s'était permis de demander un repas à base de poisson, certes, mais il s'agissait là d'une vie tout de même. Rongeant son frein, il s'imagina que ce type essayait d'attirer l’attention de sa sœur, sous son œil, ou un truc de ce genre.

Lorsque le serveur les abandonna pour crier à ses collègues cuisiniers ce qu’ils devront préparer, Artémis les remercia pour l’invitation. Puis il s’adressa plus particulièrement à Cardan, rappelant qu’il n’est qu’un rustre, tout du moins, c’est le raccourci qu’a fait le soldat dans son esprit. Amèrement, il lui répondit avec un sourire.

- Je n’en doute pas, Monsieur. Et puis vous apprenez vite à considérer le monde qui vous entoure, à en juger par votre commande.

À défaut de l’avoir titillé du bout de son épée lorsqu’il s’est trompé à son sujet, les mots pouvaient bien le soulager un peu. En entendant la remarque de son frère, Amara fit mine de s’intéresser au pliage de sa serviette, juste sous ses yeux, pour ne pas ajouter de l’huile sur le feu. L'œil valide de son frère se rendit compte de sa gêne et il perdit son sourire un peu narquois. Redevenir plus froid, moins moqueur, était encore la meilleure décision qu’il pouvait prendre pour elle.

- Soldat de la Garde Sacrée d’Aramila, pour être tout à fait exact. Ma mission est de protéger les civils et les frontières. En dehors de notre nation baignée de soleil, mon épée n’a pour but que de protéger ma sœur des dangers qu’elle ne saurait voir, même en se méfiant.

Là encore, il venait de le piquer, mais en même temps, à voir l’allure générale d’Artémis, il ne pouvait guère s’attendre à mieux. Ce type inspirait de la compassion et de la gentillesse du premier coup d'œil qu’à Amara. Le commun des mortels aurait plutôt tendance à se méfier, à changer de trottoir voire à rebrousser chemin en le croisant. Pour ne pas davantage faire se recroqueviller sa poupée de porcelaine, il tenta de se rattraper.

- Mon œil est parfois trop rapide dans son analyse de la situation et je dois reconnaître que l’absence de méfiance de ma sœur a parfois du bon. Après tout, vous vous êtes occupé d’elle de manière bienveillante sans la connaître.
Sam 15 Oct - 4:34
La doctoresse prit place sur la chaise que son frère lui proposa de tirer pour elle. Voilà, il s’était un peu calmé en marchant et elle retrouvait sa douceur et ses attentions. Dommage que sa méfiance chronique le rende passablement désagréable par moment, pensa-t-elle. Honteuse d’y songer, elle observa le menu du jour, sans réellement lire les mots, alors que le serveur arrivait pour noter la commande de chacun. Son frère répondit sans la moindre hésitation, avec une absence de chaleur et d’engouement palpable. Quant à Amara, un seul mot avait su attirer son attention et, connaissant la réputation de l’établissement pour la qualité de ses ingrédients, elle se laissa porter par son intuition première.

- Votre délicieux velouté de légumes de saison, s’il vous plaît. Accompagné d’un petit verre de cidre rosé.

Plutôt que de claquer son menu sur la table, elle le plia soigneusement et le tendit au serveur pour qu’il l’en débarrasse. Puis elle se tourna vers Artémis qui fit le sacrifice de ne pas prendre de viande pour ne pas la mettre mal à l’aise. Touchée par cette attention, Amara lui sourit. Un sourire qui déplaisait vraisemblablement à son frère. Un léger silence s’installa, ponctué par les conversations des autres clients en pleine dégustation, des pas pressés des serveurs, du feu qui crépitait dans son foyer.

L’échange entre leur invité et son aîné ne manqua pas de faire son effet : la voilà les joues rouges, gênée par la réaction de son frère, faisant une nouvelle fois preuve de méfiance, voire de méchanceté à l’égard de son gardien et guide dans la forêt. Son regard se perdit sur la serviette, délicatement pliée pour former un bateau dans le centre de son assiette. Fort heureusement, sa réaction était si visible que son frère se calma un peu et perdit son sourire moqueur. Il faut dire qu’Artémis, bien qu’ermite et conscient de ses différences, savait fort bien y faire pour faire basculer la conversation. Parler du métier de Cardan, mais également de son épée, était un bon moyen de le distraire.

La doctoresse releva le nez de son assiette en entendant son frère faire un genre de mea-culpa. Un sourire s’installa sur ses lèvres, heureuse de l’entendre se reprendre et d’être un peu plus lui-même. Ne souhaitant pas laisser filer l’opportunité de reprendre la parole, Amara posa une main chaleureuse au-dessus de celle de son frère, posée sur la table.

- Personne n’est parfait, pourtant, nous trouvons tous les trois notre place autour de cette table pour nous réunir et partager un moment délicieux. Chacun a ses torts, ainsi les Dieux nous ont fait, et il serait de mauvais ton de critiquer Leurs œuvres.

La tolérance, l’amour et la foi. Voilà les valeurs d’Aramila, voilà les valeurs des Vespertin et même son frère, aussi paranoïaque qu’il soit, ne pourrait la contredire. Alors il hocha de la tête en plissant les yeux, ne souhaitant pas argumenter avec la bonté de sa sœur. Satisfaite de cette petite victoire, Amara se sentit galvanisée, au point de réitérer ses encouragements pour Artémis.

- Monsieur, voyez comme le monde vous accepte avec facilité. Vous gagneriez tant à rejoindre une communauté qui ne vous veut que du bien, si tel est votre souhait, évidemment.
Dim 16 Oct - 6:13
Loin d’être un psychanalyste, le vagabond savait néanmoins déchiffrer le trouble chez le soldat royal. Tantôt sympathique, tantôt chambreur, Artémis relevait chacune de ses piques sans réellement réagir. En réalité, il ne voyait pas Cardan comme quelqu’un de foncièrement mauvais, mais simplement comme un soldat qui protégeait sa sœur comme le seul lien qui lui restait en ce bas monde. Qui pourrait le lui reprocher ? C’était pour cette raison que le vagabond ne rentrait pas dans son jeu. Il n’y avait rien de pire qu’une personne qui voulait à tout prix en protéger une autre. Il valait mieux les laisser croire qu’ils étaient dominateurs et que leur être aimé était en sécurité. Amara l’était. Aussi bien avec Cardan qu’avec Artémis.

« Ces temps-ci, vous devez certainement avoir du travail, je me trompe ? J’ai ouïe dire qu’un nouveau conflit pourrait éclater entre Aramila et Epistopoli. Je n’étais pas de ce monde, vous non plus, mais un conflit aurait déjà éclaté il y a une cinquantaine d’année et des territoires ont même été indexés. La gourmandise de l’Homme n’a-t-elle donc pas de limite... »

C’était un sujet très sérieux. Les rumeurs l’étaient également. Cette cité dépourvue de technologie, qui vivait simplement avec le nécessaire et dont la pauvreté n’existait quasiment pas. De tous les royaumes, si l’on retirait le climat aride, Aramila était selon le vagabond, le meilleur d’entre eux. Le comportement de Cardan étonnait un peu quand on connaissait l’hospitalité et la gentillesse des aramiliens. Il existait des exceptions partout. Amara, elle, représentait clairement les valeurs et principes de son foyer. Le chevalier royal ne put lui-même rien à ajouter à ce que dit sa sœur. Faible, fragile, elle possédait cependant une force capable de faire ployer les plus grands. Artémis en ressentit presque quelque frissons.

« Peut-être que les gens de votre royaume sont plus ouverts à l’idée d’avoir un homme costumé et solitaire à leur côté. Ce n’est pas le cas partout. Et, en toute honnêteté, je me plais bien dans ma solitude, par moment. Je me plais aussi à être avec vous, autour de cette table, et le fait d’avoir peu d’occasions de ce genre rend ce moment particulièrement agréable pour moi. »

Serait-il aussi heureux s’il côtoyait quotidiennement les gens de son espèce ? Il se posait sans arrêt la question.

« Au moins, dans ma forêt – et au-delà – je me sens utile dans la préservation des nôtres. J’empêche, autant que je peux, l’entrée d’espèces invasives. Il m’est déjà arrivé d’en traquer jusque dans le désert d’Aleek, aux portes d’Aramila. Sales bêtes. »

Les différents plats arrivaient. Artémis dissimula un léger sourire quand il vit arriver la sienne. Ce mélange de couleurs était appétissant. Après tout, cela lui arrivait de ne pas manger de viande, ce n’était pas quelque d’exceptionnel pour lui. La première bouchée fut délicieuse. Tellement qu’une interrogation lui vint à l’esprit.

« Êtes-vous déjà allé dans la brume ? Un chevalier de la garde royale et une médecin, chercheuse, vous semblez presque avoir les profils pour de tels expéditions. »

Il espérait ne pas recevoir une réponse virulente de la part de Cardan.


Dernière édition par Artémis De Goya le Mer 19 Oct - 4:11, édité 1 fois
Mar 18 Oct - 7:59
Chez les Vespertin, il y a des sujets que l'on aborde peu. Inutile de préciser qu'en public et avec des inconnus, c'est bien plus tabou encore. Alors, qu'Artémis pose sur la table l'entente politique délicate (comprenez inexistante) entre Epistopoli et Aramila, évidemment, cela le tendit quelque peu… Sa mâchoire se contracta si fort que cela devenait douloureux. Certes, il n'était pas né, mais il connaissait bien l'histoire de sa nation et l'annexion de territoires aramilans par les epistotes. Fallait-il vraiment mettre de l'huile sur le feu et remuer un passé que beaucoup d'aramilans peinent à simplement évoquer ?

- Devons-nous sincèrement faire de la politique à table, Monsieur ?

Le mythe dit que sa mâchoire avait bruyamment craqué pour lui permettre d'articuler ces quelques mots. La main d'Amara, qui tapotait la sienne pour l'encourager à se montrer compréhensif, était comme un pansement sur une jambe de bois. Parfaitement inutile. Cardan ne parvenait pas à voir les efforts sincères de son vis-à-vis, prêt à corriger son comportement pour être plaisant et proposer des sujets de conversation. Bon sang, de tous les sujets, il aurait pu choisir la météo, pas de la politique et le rappel de l'envahisseur epistote…

Mordant l'intérieur de sa joue pour ne pas s'emporter en public, c'était maintenant son tour de regarder cette fichue cocotte, ou ce bateau, ou ce machin ridicule au milieu de son assiette et qui sera lamentablement sali quand il se tapotera les lèvres après son repas. Que ce type fasse la conversation à sa sœur, c'est ça, mais qu'il ne l'entraîne pas dans des sujets de guerres ou de politique. Amara n'y connaît rien et ne gagnerait rien à s'y intéresser. Sa naïveté, au vu de la cruauté qui se répand chaque jour sur Uhr, est un don des Dieux qu'il faut préserver. Fort heureusement, ce goujat n'insiste pas et il retourne sur le sujet qu'a relancé sa sœur juste avant.

Le serveur apporta le plat de chacun, et l'espace d'un instant, le soldat sourit en voyant la réaction enchantée de la doctoresse. Un sourire qui s'envola très vite en entendant les réflexions d'Artémis. Avant de s'énerver, il eut tout de même la bonne idée de reposer ses couverts.

- Je vous demande pardon ? L'espace de quelques secondes, il observa son vis-à-vis en silence, avant de reprendre. Pour qui vous prenez-vous pour imaginer deux individus se rendre dans la Brume pour probablement y perdre la vie ?

La réaction de sa sœur ne tarda pas et s'il avait fait un peu attention, il aurait pu entendre le tremblement particulier de sa voix qui allait souvent de pair avec une montée de larmes. Excédé par ce sujet, pire encore que la politique, il hésita à rejeter dramatiquement sa serviette sur la table avant d'ordonner à sa sœur de le suivre et de quitter l'établissement. Ne serait-ce pas faire plaisir à cet ingrat, ermite et mal élevé ? Certainement. Voilà pourquoi, alors qu'il s'était levé de sa chaise, attirant le regard d'autres clients attablés, il se ravisa.

- Faites donc un voyage dans cette Brume qui vous intrigue, mais ne comptez pas sur ma sœur pour vous accompagner. Je devrais plutôt dire : n'ayez pas l'audace de lui proposer. Nous ne sommes pas à Aramila, mais je n'hésiterai pas à dégainer une nouvelle fois mon épée si vous mettez en danger la sécurité de l'un de ses citoyens.

Son coup de couteau dans la tourte au saumon était sans doute bien trop dramatique, mais il eut l'effet de concentrer sa colère autrement qu'avec son épée plantée dans cet abruti.

- Mange, Amara.

Ignorant volontairement son air apeuré et triste, il voulait tout simplement terminer le plus vite possible ce repas, payer et rentrer chez lui, loin de ce fou.
Mar 18 Oct - 8:50
Elle était heureuse. Il lui en fallait bien peu, certes, mais voir son frère un peu plus apaisé, ne trouvant rien à contredire dans son discours et hochant même la tête dans son sens, était une grande source de bonheur. Il est vrai qu'Amara est un soleil naturel, capable de désarmer bien des situations et de tranquilliser des sangs chauds. Ici, elle avait réussi et elle était maintenant persuadée que le repas se déroulerait sans encombre, dans un esprit plus bon enfant. Quelle naïveté, une nouvelle fois…

La mention des conflits entre sa nation et la voisine ne manqua pas de faire réagir son frère. Encore relativement apaisé par la précédente tentative d'Amara, il ne fit tout de même pas trop de vague. Son discours était clair et net, pas de politique pendant un repas. Fort heureusement, Artémis n'eut pas l'idée d'insister et il fit la conversation. Préférant laisser son frère se reprendre (ou bouder, question de point de vue), la doctoresse ne lui donnait de l'attention qu'au travers du contact entre leurs deux mains sur la table. Pour le reste, elle était toute entière tournée vers son gardien.

- Je pense sincèrement que vous trouverez un foyer à Aramila et une communauté pour vous apprécier à votre juste valeur. Vous pourrez trouver un compromis entre votre solitude et ce genre de repas. Vous pourrez tout simplement nous rendre visite, me rendre visite. Je ne prétends pas être une faiseuse de miracles ou encore la plus instruite en matière de médecine, mais je sais que je peux vous proposer une oreille sincère et attentive pour écouter vos soucis…

Il lui plaisait de lui proposer son aide. S'il acceptait ce genre de compromis, s'il acceptait de se rendre parfois dans sa nation de sable pour quelques consultations, Amara partirait d'Opale le cœur comblé, persuadée d'avoir fait une bonne action, pas seulement louable pour satisfaire les Dieux. Après avoir vu des interventions de sa Nebula, elle désirait sincèrement mettre tout en œuvre pour devenir un soutien d'Artémis dans les terribles épreuves qui l'attendent…

- Un peu de voyage ne fait de mal à personne. Notre résidence principale se trouve dans les bois d'Adriane. Je pourrais m'organiser pour vous y accueillir, si bien sûr tel est votre souhait. Cela vous fera moins loin qu'Aramila. Et puis il y a moins de monde, moins de stress… Vous pourriez vous absenter de vos obligations envers votre forêt de temps en temps. Qu'en pensez-vous ?

Les plats faisaient leur arrivée. Ravie de constater que tous, sans exception, étaient parfaitement appétissants, elle ne put s'empêcher de taper dans ses mains. Quant à son velouté, il lui faisait terriblement envie ! C'est à ce moment que les choses se gâtent… Bien qu'il se soit montré relativement compréhensif jusqu'ici, qu'il ait préféré rester silencieux pour ne rien prononcer de regrettable, Cardan ne manqua pas de faire comprendre son mécontentement. Parler Brume, c'était encore plus scabreux que parler politique, mais alors sous-entendre qu'ils avaient tout de parfaits explorateurs… En constatant que son sang ne fit qu'un tour et qu'il allait quitter la table, Amara sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle n'avait servi à rien. Elle n'avait rien apaisé. Elle n'était qu'une enfant naïve…

- Je t'en prie Cardan, ce n'est pas ce que notre ami a voulu dire…

Difficile d'ignorer les trémolos dans sa voix, pourtant, elle le savait, ce n'est pas ce qui avait empêché son soldat de frère de quitter la table puis l'établissement. Une affaire d'honneur, sûrement. Sa menace proférée, Amara ne pouvait pas s'empêcher de laisser couler au moins une larme. Il lui fallait bien ça, à ce petit cœur candide et toujours plein de bonnes attentions…

L'appétit avait disparu, pourtant, elle s'exécuta machinalement quand son aîné lui ordonna de manger sa soupe. Elle avait l'impression d'avoir dix années de moins, soudainement. Il lui tardait que cette journée prenne fin, sûrement pas pour les mêmes raisons que son frère : elle avait tout simplement envie de pleurer à chaudes larmes.
Mer 19 Oct - 4:48
Ce chevalier commençait sérieusement à agacer le vagabond. A chaque sujet de conversation, celui-ci piquait une crise. Rien n’allait. Un simple sujet de conversation pouvait à tout moment le mettre hors de lui. La profération de le menace fut probablement la goutte d’eau qui ne put empêcher Artémis de rentrer dans son jeu. Un vilain jeu, certes, mais un jeu tout de même. D’aussi loin que remontaient ses souvenirs, Artémis a passé le plus clair de son existence à traquer des choses plus terrifiantes que ce chevalier de la garde royale, aussi brillant était-il.

« Laissez votre épée où elle se trouve, l’ami. Amara n’a certainement pas envie de voir son frère dans un sale état. », fit calmement l’ermite en dégustant son plat de légume. Apetissant, pensa-t-il. Ce mélange se mariait à la perfection et l’assaisonnement était délicieux. « Je n’ai fait preuve d’aucune hostilité envers vous, Cardan. Mais à me mettre à bout, vous risquez effectivement de provoquer des réactions peu sympathiques. Pardonnez-moi si mes questions eurent été déplacées, mais je n’ai fait que m’interroger sur des actualités évidentes. Heureux d’échanger avec des aramiliens, je m’inquiète aussi de votre situation géopolitique. »

Seconde bouchée. Toujours aussi agréable. Il esquissa un sourire. Ce n’était pas uniquement en raison de l’exquise saveur dont il jouissait, mais surtout des propos du chevalier au sujet de la brume. Encore une fois, il s’adressait à la mauvaise personne. « Vous aviez pourtant une forte probabilité de tomber sur une personne qui évite la brume, sauf que ce n’est pas mon cas. », reprit-il tout aussi calmement. « La brume, dites-vous, c’est presque mon terrain de chasse. Presque, car tout le monde, j’évite de m’en approcher. Mais vous n’ignorez pas que beaucoup de disparitions se font aux abords des villes. J’enquête régulièrement dessus, traque des espèces de temps à autre. Je ne m’y suis jamais trop enfoncé, mais je côtoie régulièrement la brume. »

Puis j’ai une nébula en moi, songea-t-il. « Dernière chose, Cardan, je ne demande jamais à quiconque de m’accompagner dans mes explorations. Je vis seul. Je voyage seul. Ceux que je croise sont ceux ayant des groupes ou des solitaires comme moi ayant décidés de s’y aventurer. Au départ, je suis seul. Et souvent à la fin aussi. », conclut-il une dernière fois avant de se retourner vers Amara, bien plus agréable que son frère. « Pardonnez-moi, mademoiselle, je me devais d’éclaircir certains points avec votre ainé. Concernant votre invitation, je l’accepte avec grand plaisir. A ma prochaine venue sur Aramila, je vous rendrai visite. J’apprécie la simplicité avec laquelle vit votre peuple. »

Quand elle mentionna « les obligations envers sa forêt », Artémis ne put s’empêcher de rire. « Vous avez parfaitement raison, je peux m’en détacher un peu. Cela donnera du travail à ces fainéants de l’armée d’Opale. » Le vagabond se montra volontairement plus joyeux en voyant la blonde se perdre dans sa tristesse. Il s’en voulait presque d’avoir été le responsable de cette situation, même si le véritable coupable n’était autre que son frère, selon le vagabond. Il n’en rajouta pas davantage. Il ne le regarda même pas. Bienveillant, Artémis se dit même qu’il devait lui aussi s’en vouloir. Dans un effort intense, après avoir reprit une cuillère de son mélange et une gorgée de sa chope pour se donner du courage, l’ermite reprit la parole : « Afin de m’y préparer, que mangez-vous dans votre région ? Je ne m’y arrête que le temps d’un verre la plupart, alors je n’y mange jamais. »

Dommage, se dit-il. Sa curiosité n’a pas été étanchée. Il aurait aimé avoir l’avis des locaux sur leur situation actuelle. Il devra sans doute se rendre directement sur place pour avoir des réponses à ses questions. Les occasions ne manquaient pas.
Dim 30 Oct - 12:19
Émue par cette conversation et l’attitude parfaitement exécrable de son frère, la main de la doctoresse tremblait chaque fois que sa cuillère faisait le chemin entre son potage et sa bouche. Le plus triste étant que, celui que son frère appelait inconnu avec dédain, était bien le seul à se préoccuper de son état. La poupée de porcelaine était blessée par l’attitude de son frère. Reconnaissant la maladresse derrière ses questions, Artémis montra patte blanche : il n’avait pas pour but de provoquer un scandale ou de réveiller des blessures passées. Épatée par la patience et la bienveillance dont il faisait preuve à l’égard de son aîné, Amara laissa retomber sa cuillère dans son velouté de légumes, incapable de faire autrement que de l’écouter.

Lorsqu’il lui demanda pardon d’avoir ressenti le besoin de faire entendre sa voix et de clouer le bec à son frère, la doctoresse cligna des yeux à plusieurs reprises. En vérité, elle n’était pas bien sûr de l’avoir entendu lui demander pardon, à elle. Ce repas prenait une tournure lunaire, mais Artémis avait eu le don de calmer ses sanglots, bien qu’elle se sente toujours aussi mal et désire plus que tout repousser le tête-à-tête du chemin du retour avec Cardan. La cerise sur le cageot étant qu’il venait d’accepter son invitation, ne lui tenant alors pas rigueur du comportement de son frère. Soufflée, elle parvint tout de même à balbutier :

- M-merci ! Vous serez bien accueilli, je vous le garantis !

Et surtout, il n’y aura sûrement pas Cardan pour assombrir l’ambiance… Ce dernier, conscient et coupable de la tristesse de sa poupée, termina en silence le contenu de son assiette. Un peu trop rapidement pour pouvoir profiter des saveurs, mais il n’avait plus qu’une idée en tête : quitter cette table. Il ne voulait pas davantage blesser ou gêner sa sœur, pas plus qu’il ne voulait céder à ses paranoïas aussi diverses que variées et visiblement attisées par la simple présence de cet homme. Puisqu’Amara aimait tant sa présence, il n’avait plus cœur à lui gâter ce moment. Après avoir essuyé sa bouche, il reposa sa serviette et se leva de sa chaise.

- Prenez le temps qu’il vous faudra et commandez donc ce qu’il vous plaira. Je dois prendre l’air. Il s’inclina très légèrement pour saluer « respectueusement » son vis-à-vis. Monsieur, je doute que nos chemins se croisent à nouveau. Merci encore pour votre aide envers ma sœur. Il posa une main sur l’épaule de sa sœur et, alors qu’il lui avait ordonné de manger pour s’échapper au plus vite de ce repas, il lui intima tout le contraire : Prends ton temps, je t’attendrai avec nos chevaux à l’extérieur, mais n’oublie pas que la route est longue pour rentrer chez nous.

Un peu déboussolée, mais également soulagée par le départ de son frère, la doctoresse ne sut pas tout de suite comment rebondir. Après quelques instants d’hésitation, elle renifla un coup et décida de chasser sa tristesse. Après tout, elle était un soleil naturel et non un nuage plein de larmes. Son frère avait eu tort, mais confronté à cette réalité, il avait eu la noblesse de s’en rendre compte et de capituler. Cela ne voulait pas dire qu’il n’en ferait pas la mention pendant le voyage retour vers Aramila, mais au moins, il avait compris les dégâts dont il était capable à cause de ses peurs.

- Ce que nous mangeons… Et bien, nous sommes très friands de thé. Cela peut paraître étrange de boire un liquide brûlant lorsque le mercure est si haut, mais c’est pourtant un bon moyen de refroidir le corps. Vous trouverez beaucoup de locaux raffolant de plats à base de semoule, de viande de mouton ou de bœuf, de légumes. Des pâtisseries aussi, délicieuses et dégoulinantes de miel et d’amandes. La cuisine d’Aramila est riche, si bien sûr, on en a les moyens. Malheureusement, les plus pauvres d’entre nous se contentent souvent de céréales et de légumineuses. Et ils doivent parfois batailler pour avoir assez d’eau potable…

Voilà, son frère parti, elle se sentait elle-même et prompte à s’étendre sur des détails insignifiants pour beaucoup. Devait-elle se trouver cruelle de se rendre compte que Cardan était à ce point néfaste autour d’elle ? Que les Dieux lui pardonnent ses faiblesses, elle Leur demandera pardon, ainsi qu’à son frère...