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Entrer sans sonner

Entrer sans sonner Brandw10
Mar 8 Aoû - 18:41



Entrer sans sonner

Ft. Ratamahatta


Epistopoli… Me voilà donc revenu à mon point de départ. Mais cette fois, entrer dans la ville allait être bien plus difficile. J’avais détruit tous mes papiers, ne voulant pas être reconnu par qui que ce soit. Après tout, j'étais censé être mort. Et mieux valait que cela reste ainsi. Si l’armée était informée de mon retour, je risquais de devoir rendre un rapport sur ce qu’il s’était passé pendant l’expédition. Au mieux, ils me réintégreraient peut-être dans l’armée. Je leur devais encore quelques années de service… Au pire, j’allais être jugé en tant que déserteur. Aucune des deux solutions ne me plaisait… Et c’était sans compter que je ne pouvais faire confiance à personne. Je ne savais que trop bien que les grandes villes regorgeaient d'espions. J’avais moi-même été l’un d’eux sans que personne n’en sache rien. Je craignais encore plus d’être découvert par les Caravaniers que par l’Armée Epistote.

J’allais devoir être discret. Je me rapprochais d’une caravane de marchands se dirigeant vers la cité. La route qui menait à la grande porte commençait à être un peu plus bondée. Je n’étais plus très loin. Les gardes étaient plus nombreux et les voyageurs aussi. Au moins, mon manteau de haillons dissimulait mon visage sous sa capuche. On aurait pu facilement me confondre avec un mendiant. Ce n’était pas tout fait juste… À dire vrai, j’en étais devenu un… Et je doutais qu’on me laisse entrer sans broncher dans cet accoutrement, sans un sou et sans papiers. Je pourrais peut-être courir entre les gardes ? Non… Je ne maîtrisais pas suffisamment bien mes nouvelles capacités. Et je ne courais pas aussi vite. J’aurais pu me glisser dans un chariot. Mais si je me faisais repérer… Cela revenait au même. Mais il fallait que je trouve une solution. J’étais déjà à l’entrée de la Capitale du Savoir.

Je m’écartai du groupe que j’avais suivi jusqu’ici pour me rapprocher d’un autre groupe à l'arrêt. Leurs tenues étaient bien plus proches de la mienne. De toute évidence, je n’étais pas le seul vagabond à vouloir entrer dans la ville. Au moins, passerais-je inaperçu auprès d’eux. Je m’approchais d’une caisse métallique dans laquelle les mendiants avaient allumé un feu. Je m'agenouillai pour en approcher mes mains. Il ne faisait pas vraiment froid et je n’avais pas besoin de me réchauffer. Mais les flammes avaient quelque chose de réconfortant. J’étais habitué à la pollution constante qui planait au-dessus de la ville. Cette source de lumière vivante avait quelque chose de plus chaleureux que les lampes qui jonchaient le chemin jusqu’à la ville.

Une odeur retint mon attention. Non loin de moi, proche d’un second feu, une odeur de viande peu savoureuse se répandait. En temps normal, j’aurais probablement eu un haut-le-cœur. Mais je n’avais pas mangé depuis plus d’une journée complète. Un bon repas et un bain ne m’auraient pas fait de mal. Je sentais presque la poussière de mon voyage former une barrière entre ma peau et mes vêtements tout aussi sales. Je me redressais, hésitant à aller leur demander si je pouvais moi aussi avoir un morceau de viande. Mais un bref regard autour de moi m’en dissuada.

Ces gens avaient l’air d’avoir plus souffert que moi. J’avais fait le choix d’abandonner mes privilèges et de repartir de rien. Certes, les dernières semaines avaient été éprouvantes. Mais c’était une nouvelle liberté qui s’offrait à moi. Les mendiants à l’entrée de la ville n'avaient pas l’air d’être ici par choix. Je pouvais encore tenir et attendre d’être en ville. Je me ré-asseillais donc près du feu, réfléchissant à un moyen de rentrer. C’est là qu’une voix familière parvint à mes oreilles.

"Tout va bien se passer. Vous en faites pas. Hé toi ! Tu veux entrer dans la ville ?"

Mon regard cherchait d’où pouvait provenir la voix en question. Un peu plus loin, enroulé dans une cape qui laissait imaginer un corps difforme, un individu louche passait de mendiant en mendiant. Un sourire malicieux se dessina sur mon visage. Je connaissais cette personne et elle pourrait bien être mon ticket d’entrée. Ce n’était pas la première fois que j’avais à faire à cette silhouette étrange. Et l’avantage, c’est qu’elle ne savait probablement pas grand-chose de moi, si ce n’est qu’elle m’avait donné des informations plus d’une fois lors de mes missions pour les Caravaniers. Les habitants de la basse ville en savaient souvent plus qu’on pouvait le croire. Et contre quelques pièces, les langues se déliaient facilement. Cette personne ne le savait probablement pas, mais elle m’avait aidé plus d’une fois à traquer ma cible. Il était temps de faire jouer mes connaissances du passé.

Je me levai et m’approchai lentement du racoleur. Quand ce dernier finit de discuter avec sa nouvelle cible, j’étais juste derrière lui. Il se retourna pour aller trouver un nouveau mendiant à persuader et me rentra presque dedans. Je relevais tout juste ma capuche pour le laisser voir mon visage. Mes cheveux étaient un peu plus longs qu’à l’époque et je portais maintenant une barbe. Mais je doutais d’avoir tant changé pour qu’il ne me reconnaisse pas.

"Salut. Tu te souviens de moi ?"


Dernière édition par Raphaël Meridian le Mar 8 Aoû - 21:02, édité 1 fois
Mar 8 Aoû - 20:09
Le bidonville improvisé avait naturellement enflé devant le poste de garde Sud-Est de la Capitale du Savoir. Des feux avaient été allumés, déchirant le crépuscule, des odeurs infectes s'en élevaient ;  quelques toiles avaient été vulgairement dressées contre les grillages en guise de tentes. C'est comme ça, régulièrement, ces parasites reviennent à la charge, ils reviennent enlaidir le somptueux checkpoint installé ici par les fonctionnaires epistotes. Ceux-ci, robots faits de chair et de sang, contrôlent les visas et titres de séjour des visiteurs, et leur servent le discours protocolaire de bienvenue : ils font ça toute la journée, puis toute la nuit, un défilé incessant, occasionnellement interrompu par une intervention musclée des soldats en poste à proximité.

A n'importe quel moment, ces soldats pourraient recevoir l'ordre de disperser les mendiants et coffrer les plus louches d'entre eux au passage. Les parasites traînent le long des routes, gâchent le paysage, jettent leurs détritus partout, c'est insupportable. Indigne de notre si merveilleuse mégapole.

Boris... Tu as failli bousculer Boris. Très surpris de te croiser dans un tel endroit !

Larges et grands ouverts, ses yeux sont animés de soubresauts, comme s'ils étaient habités par des asticots excités. Le bossu encapuchonné te fixe, il t'adresse un large sourire laissant entrevoir des dents anormalement aiguisés. C'est Boris, et dans les temps difficiles où l'usine automobile l'avait viré à grands coups de pied au cul et qu'il s'était retrouvé sans le sou, quasiment à poil dans la rue, il pouvait compter sur toi pour lui filer quelques astras en échange de rumeurs et d'infos croustillantes.

« Héhé. Que bien sûr je me souviens de toi ! »

Oui, il a été ton indic, autrefois. Mais ces temps sont lointains, tu sais. Il n'a plus besoin de tes piécettes. Il est toujours aussi fauché, mais a trouvé du réconfort ailleurs...

« T'es carrément plus moche qu'avant ! » Qu'il ajoute dans un ricanement taquin, en te parcourant de haut en bas de ses yeux agités. Il semble ressentir une certaine satisfaction à te constater dans cet état négligé, et il s'en cache pas. C'est pas contre toi, il devine simplement que tu viens pas simplement taper la causette. Tu amènes du business, pas vrai ?

Il est sympa, Boris, le coeur sur la main. Toujours un bon plan à offrir.

« C'est quoi le souci, mon ami ? Me dis pas que t'es coincé dehors comme tout ces pauvres gens ? »

Ce soir, Boris n'est qu'un humble messager. Il fait circuler une bonne nouvelle parmi les misérables agglutinés à l'entrée de la ville : il y a non loin d'ici un ange, une créature fantastique qui s'est évadée d'un rêve humide pour venir envahir notre cruelle réalité. Cet ange majestueux récolte les désespérés et leur offre des tickets gratuits pour Epistopoli, le paradis de tout les possibles pour qui sait en saisir les opportunités !

Quel est le prix de cette générosité ? Ça dépend ! Parfois il demande ton âme. Parfois il demande ton corps, pour peindre dessus avec ses pigments de Brume et te transformer en l'une de ses oeuvres. Parfois il ne demande absolument rien en retour, dans l'immédiat, mais il ne t'oublie jamais.

Boris est l'un des rabatteurs de cet ange, de R. Une unique lettre suffit, dans les quartiers ouvriers de la Basse-Ville, à tout de suite comprendre de qui on parle. Ou plutôt, de quoi on parle ? C'est une chimère qui rôde dans les bas fonds, dans les égouts, dans les usines désaffectées, et dans les ombres. La chose se livre à des rituels et à des fêtes occultes avec ses disciples des jours durant, ces tarés font alors un vacarme pas croyable en chantant d'atroces incantations par dessus leur musique monstrueuse.

Pourtant, R, ben il se fait jamais arrêter, c'est comme s'il était protégé par la plus vicieuse des bonnes étoiles. Un drôle de loustic, ça rassurerait beaucoup de monde de le savoir mort ou en tôle !

...
Autour de vous, un petit groupe de vagabonds se met en mouvement. Ils semblent pressés, comme s'ils avaient rendez-vous. Certains d'entre eux jettent un dernier regard à Boris, avant de partir, comme une forme de remerciement...
Mar 8 Aoû - 20:57



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Ft. Ratamahatta


Le bossu ne m’avait donc pas oublié. Quant à moi… Eh bien, je me souvenais de son visage gracieux et de ses mouvements élégants. Mais son nom… Impossible de m’en souvenir. Ce n’était pas pour ce qu’il était que je l’avais oublié. Ce n’était pas par dédain ni aucune autre forme de supériorité mal placée que j’aurais pu ressentir. C’était comme si l’information avait été effacée de mon esprit. C’était comme si j’avais enfoui profondément tous les souvenirs de cette époque dans une partie reculée de mon cerveau. Mais le passé n’était jamais très loin… J’avais besoin de cet homme et de ses services. Peut-être pouvait-il encore m’aider aujourd’hui.

Je me demandais ce que cela allait me coûter. De toute évidence, il ne fallait pas être devin pour deviner que je n’avais pas une seule pièce d’or. Les yeux agités du racoleur semblaient me dévisager comme si des rayons X avaient remplacé ses pupilles. De toute évidence, j’avais une valeur à ses yeux. Quelle valeur ? Je risquais de l’apprendre à mes dépens… Mais je n’avais pas vraiment le choix…

“Les choses ont bien changé… J’aurais besoin de ton aide. En souvenir du bon vieux temps. Tu crois que tu peux faire ça ?”

Je ne sais pas pourquoi j’essayais de jouer la carte de l’amitié. Nous ne l’avions jamais été. J’étais un tueur apathique à l’époque, ne l’utilisant que pour ses tuyaux contre quelques pièces dont je me fichais éperdument. Je doutais qu’il ne m'ait jamais apprécié. Mais s’il avait besoin de cette pièce à l’époque, je doutais qu’il en soit de même aujourd’hui. J’étais celui dans le besoin, et son sourire en coin ne laissait aucun doute sur ses intentions.

Le regard du bossu se détourna de moi l'espace d’une seconde. Un peu plus loin, un groupe de mendiant commençait à se former dans l’obscurité. J’étais sûr d'en avoir aperçu certains d’entre eux en arrivant aux portes de la ville. Ils n’étaient pas venus ensemble et ce regroupement était trop désorganisé pour que ces mendiants se connaissent. Qu’est-ce que pouvez bien préparer mon ancien indic. Il y avait quelque chose de fourbe dans son regard. Je doutais qu’il les aide à entrer par pure bonté de coeur. Combien de ces gens allaient-ils connaître pire en entrant dans la cité ? Ce n’était pas mon affaire… Je devais me retirer cette idée de la tête. Tout ce qui importait était de rentrer dans la ville.

“Tes amis s’en vont.” Je montrais la direction du groupe d’un geste de la tête. “Si tu les aides à entrer dans la ville, je veux en être.”

J’avais l’impression que le bonhomme hésitait. C’était peut-être uniquement dû à son regard fou et à ses tocs. Ou peut-être voulait-il simplement me faire attendre sa réponse, me faire comprendre qu’il avait le dessus. Je n’avais pas grand-chose à perdre. Et je n’avais pas toute la nuit. De toute évidence, un groupe s’en allait maintenant et je ne comptais pas manquer le coche. Il valait mieux jouer cartes sur table.

“Écoute Boris...” Boris ! Le nom m’était revenu sans que je n'y pense, comme s’il était parvenu à s’échapper de cette prison mentale. “Je pense que tu l’as compris, je n’ai rien pour payer tes services. Mais je ne crois pas que ces gens t’aient payé en Astra pour autant. Aide-moi et j’aurais une dette envers toi. Laisse-moi entrer avec eux et tu pourras me donner ton prix. D’accord ?”

Le groupe commençait à s’éloigner. J'espérais que le rabatteur ne prenne pas trop de temps à réfléchir à ma proposition. J'espérais également ne pas avoir vendu mon âme.
Mar 8 Aoû - 22:45
Boris a prit le temps de te jauger, parce qu'honnêtement, il se demandait si tu te foutais pas un peu de sa gueule. Toute l'assurance dont tu faisais preuve à l'époque s'est comme évaporée. Qu'est-ce qui a bien pu t'arriver ? Un grand gaillard comme toi, tombé si bas ! Il sait quelle genre de personne tu es, Boris n'est pas dupe. A l'époque, il se doutait que toutes ces informations dont il t'abreuvait, tu devais bien en faire quelque chose. Et que vu ta tronche et tes manières, t'allais surement pas faire des papouilles aux gens dont il te filait les adresses et les horaires.

Mais bon, il s'en fout de tes affaires. Peu importe qui tu as été, peu importe ce que tu faisais. Présentement, tu es un clodo comme un autre, en train de le supplier pour son aide. Voilà ce qui compte.

Au plus il te contemple, au plus le messager voit en toi un étrange petit oiseau que R pourrait beaucoup apprécier ajouter à sa collection. C'est aussi pour cela qu'il a été désigné pour ce rôle : Boris est doué, il a du flair ! Il renifle le désespoir, et sélectionne les meilleurs potentiels.

« D'accord. Pas de coup fourré, hein ? A la moindre suspicion de ver dans la pomme, R arrête tout. Et ça bardera pour toi, il est escorté »

Es-tu soulagé ? L'aventure commence. Tu retournes à Epistopoli cette nuit. Bonne nouvelle !
Boris enfonce l'une de ses grosses mains dans l'une de ses poches intérieures, ouvrant sa cape, laissant entrevoir son ventre bariolé de cicatrices. Il te sort un petit carton aux couleurs chatoyantes.

« Prends ça, plie le, cache le sur toi, le donne à personne. Ça te servira à prouver que tu m'as bien rencontré. »

Il te tend le carton. Un énorme R rose est peint au travers, cerné par des formes géométriques aux couleurs psychédéliques. Il se dégage de l'objet une douce odeur assez complexe, une sorte d'encens synthétique. Bien que cet agréable parfum soit une belle pause au milieu de cet enfer olfactif, il vaut mieux ne pas le respirer trop longtemps. Ça donne vite mal à la tête.

Ce carton ressemble à une invitation pour une fête. Ça semble pas très sérieux.

Tu as surement des questions, mais Boris ne s'interrompt pas. Le temps presse.

« T'en fais pas pour le paiement. R fait ça par pure bienveillance. Il demandera pas d'astras.
Si t'es respectueux et que t'écoutes les instructions de R, tout se passera bien.

Une dernière chose : t'as un miroir sur toi ? Si oui, je te conseille de le balancer tout de suite.
Faut pas montrer de miroir à R, jamais. Compris ? »


Aucun suivant de R ne transporte de miroir sur lui, et aucun miroir n'est admis dans ses repères. C'est une règle de base pour protéger sa santé mentale.

A nouveau, Boris te sourit, faisant vibrer sa gorge dans un grossier ricanement. Boris t'aime bien, en vérité, peu importe ce que tu pouvais penser de lui à l'époque. Tu restais l'une de ses rares sources d'astras fiables, et grâce à toi il a souvent évité d'aller se coucher le ventre vide. Boris te regarde, misérable et répugnant que tu es devenu, et se dit que les rôles sont inversés maintenant, et que ce soir, c'est LUI qui possède ton destin entre ses mains. Quelle incroyable ironie !

Te rediriger vers R, pour lui c'est te rendre un immense service.

Quand R a pris Boris sous ses plumes, qu'il lui a injecté quelques mutagènes mystiques et offert des drogues soigneusement conçues pour détruire à jamais toute la douleur qui l'accablait, ça a été une libération, un sauvetage. Il a trouvé une famille auprès de R et de sa suite de mutants. C'est une famille sincère alimentée par l'amour de l'occulte, pratiqué durant leurs fêtes décadentes. Et par la haine d'Epistopoli, cet ogre maudit fait d'acier et de béton qu'on jettera un jour à la Brume.

Qui sait ? Peut-être qu'à ton tour, tu rejoindras cette famille, si tu plais à R ?

« On se sépare ici. Pour toi, la suite, c'est là-bas. » Boris conclut. Il pointe du doigt la direction empruntée par la bande de vagabonds qui s'éloigne lentement, ceux-ci semblent descendre dans un fossé rempli d'ordures, à une trentaine de mètres de là. Ils vont disparaître de ton champ de vision d'un instant à l'autre.

« Tu devrais te grouiller. Héhé »

Sacré Boris. Il va te faire courir...
Mar 8 Aoû - 23:54



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Ft. Ratamahatta


Boris n’hésita pas bien longtemps. Les rouages de son cerveau tournaient à toute allure. Ou du moins son regard fou en donnait l’impression. Après quelques secondes d’attente, le bossu accepta ma requête. J’avais la sensation de signer un contrat que je n’étais pas prêt à payer. Mais bon… Ce n’était pas comme si j’avais toujours pris les bonnes décisions depuis mon départ de Aramila. Une de plus ou de moins… J’acceptais donc ses conditions.

“Je n’ai pas trop le choix Boris. Je ne tenterai rien. Merci pour ton aide.”

Le racoleur s’agita sous ses haillons pour en sortir un morceau de papier, dévoilant l’horreur qu’était son corps. Je me retenais de faire une grimace, ayant conscience qu’il ne valait mieux pas offenser mon bienfaiteur. Je pris le petit carton marqué d’un R en écoutant ses indications. Qui pouvait bien être ce R dont il parlait ? J’avais beau rêver d’un monde où les gens pourraient se soutenir et où aider son prochain serait la norme, j’avais du mal à imaginer que ce R faisait tout cela par bienveillance. Il y avait quelque chose de pas net. Et pourtant, Boris avait l’air de croire à ces paroles. Peut-être avais-je de la chance finalement.

“Non, je n’ai pas de miroir.”

Décidément, il était bien mystérieux. Une image étrange commençait à se former dans mon esprit. Qui pouvait bien être ce bienfaiteur ayant peur de son reflets, accueillant des mendiants pour les aider à entrer dans la ville, mais les accueillant avec des gardes qui me faisait plus penser à des geôliers qu’à des gardiens et qui faisait appel à un être si étrange pour accomplir ses missions ? Bien que je doute de leurs intentions, ma curiosité était piquée.

“Merci encore Boris. À bientôt.”

Je devais en effet me dépêcher. Le groupe disparaissait derrière le fossé un peu plus loin. Quelques pas de courses me permirent de rejoindre le rebord alors que je les voyais disparaître dans l’obscurité. Le groupe semblait s’être évanoui dans la décharge. Trébuchant sur les débris et autres amas peu ragoûtants, j’essayais de rejoindre le lieu où je les avais vu disparaître. Mais rien. Il n’y avait plus personne. Je tournai en rond cherchant comment un groupe d'une dizaine de personnes avait bien pu s’évaporer. Un bruit métallique retint mon attention un peu plus. Je courais dans cette direction pour apercevoir à quelques pas de là une énorme plaque de métal qui était en train de se refermer sur le sol.

“Hé ! Attendez-moi !”

Le mouvement de la plaque s'arrêta. Le faible vacillement d’une source de lumière éclaira le dessous de la trappe ainsi que le visage d’un homme qui me regardait. La trappe s’ouvrit légèrement alors que j’arrivais à son niveau. Je m'apprêtais à le remercier de m’avoir attendu, reprenant ma respiration, et essayant d’afficher un sourire reconnaissant. Mais une arme passa le long de l’ouverture, pointant son canon droit sur ma poitrine. Je reculais brusquement, pris de court, espérant qu’il n’ouvrirait pas le feu à vue.

“Doucement ! J’ai l’invitation ! C’est Boris qui me l’a donné.”

J’avais toujours le papier dans la main. Les deux mains en l’air en signe de reddition, j’ouvrais lentement mon poing pour montrer le carton marqué à la brute. Je ne voyais pas bien son visage et ses réactions. L’homme se tenait à contrechamp de la lumière qui émanait du puits. Mais dès qu’il vit le carton, il se détendit.

“N'est jamais trop prudent. Hé les gars, on a un r’tardataire. Attendez-nous. Allez, après toi le mendiant.”

Je m’approchais de ce qui semblait être une entrée des égouts et saisissait l'échelle pour commencer la descente. Je m'arrêtai une seconde pour remercier l’homme alors que j’étais sur l'échelle avec lui. Croiser son regard me fit froid dans le dos. Sous cet angle, la lumière éclairait son visage d’une lugubre façon. Mais le plus dérangeant était sa peau. Ou plutôt son pelage. L’homme en question avait le visage couvert d’une fourrure épaisse. On aurait dit qu’un savant fou s'était amusé à greffer la peau d’un ours sur un humain.

“On n'a pas qu’ça à faire.”

L’homme grogna en me forçant à descendre l’échelle pour qu’il puisse refermer la trappe. Chassant de mon esprit la vision de son visage, je me laissais glisser sur l'échelle pour descendre dans les égouts. L’odeur qui s’en dégageait était de plus en plus intense. Je n’avais définitivement plus faim. En bas, le groupe de mendiants et autres rebuts de la société n’avait pas beaucoup plus bonne mine que moi. Autour du groupe, quelques hommes armés les encadraient. Quand l’homme ours arriva derrière moi, ils nous montrèrent le chemin.

“Où est-ce qu’on va ?”

Une des mendiantes semblait de plus en plus inquiète. De tous, elle semblait être la seule à avoir osé prendre la parole. Il faut dire que le visage poilu de l’homme qui m’avait attendu n’était rien en comparaison à certains de nos hôtes. Entre jambes à trois articulations, oeils de félins et autres joyeuses mutations, notre voyage dans les égouts avait tout d’un séjour aux enfers.

“A l’intérieur de la ville. Vous en faites pas.”

La femme à queue de félin qui avait répondu montra l’ouverture qui se dessinait au bout du tunnel. La lumière qui se dégageait de l’ouverture était plus vive que les simples lampes utilisées par nos hôtes. Je n’arrivais pas à voir plus loin que la fin du chemin. Est-ce que la ville commençait sous cette ouverture ? Ou allait-on enfin rencontrer notre bienfaiteur ? Le fameux R était des plus mystérieux et après avoir rencontré ses hommes, il devenait des plus inquiétants. Ma curiosité n’était plus un prétexte suffisant pour vouloir le rencontrer.
Mer 9 Aoû - 10:51
Ils vous firent encore marcher, un périple assommant dans une obscurité ponctuée ici et là de très vives lanternes, douloureuses pour vos yeux fatigués.

Une heure ou deux ? On perd vite la notion du temps, à gambader dans ces longs tunnels sombres plongés dans un silence assourdissant. La gadoue dans laquelle vous pataugez est un amalgame de produits chimiques sentant horriblement fort. Ces égouts accueillent les rejets de la zone industrielle, le fleuron epistote qui se déploie au-dessus de vous. Il vaut mieux ne pas boire la tasse...

« Vous en faites pas si vous puez, vous aurez l'occasion de prendre une bonne douche à votre arrivée ! » vous a annoncé fièrement l'homme-sauterelle, celui qui a trois articulations aux jambes. Il semble en permanence à moitié hilare et se déplace par petits bonds. Drôle de type hein ?

Ils ne vous avaient pas prévenus que la route serait aussi éprouvante. R sait se faire désirer, on dirait ? Vous marchez longtemps, très longtemps, si longtemps que les jambes de certains de tes compagnons, moins rompus que toi aux longues marches, commencent à fatiguer. L'un d'entre eux est vraiment vieux, et cette longue randonnée dans les égoûts, les bottes plongées dans dix centimètres de gadoue chimique, c'est peut-être trop pour lui. Il a été prévenu par les monstres que s'il traînait trop, ça allait menacer la sécurité du groupe, et qu'ils devraient l'abandonner là. Ça le motive à donner le meilleur de lui-même, mais il a peur que ce soit son dernier voyage.

La femme à queue de félin s'est voulue rassurante. Elle vous a expliqué au cours du trajet que les armes qu'ils transportent ne sont pas destinées à être pointées sur vous, mais sur d'éventuels patrouilleurs epistotes qu'on aurait le malheur de croiser. Ces salopards font des rondes dans les égouts et les souterrains, parfois, c'est même de plus en plus fréquent, et c'est capital d'être en mesure de les menacer de mort et de leur injecter quelques somnifères si on les rencontre, sinon ils vont s'amuser à sonner l'alerte.

S'ils rameutaient l'armée, vous vous doutez de ce que ça voudrait dire, hein ? Case prison pour tout le monde. Et vous n'avez vraiment, VRAIMENT pas envie de savoir comment la Capitale de la Science traite ses prisonniers...

En bref, toute cette mise en scène, tout ces gros calibres, c'est pour votre bien à vous. Libre à vous de les croire ou non !

Les créatures qui vous escortent rompent régulièrement le silence. Elles discutent entre elles, ricanent et s'envoient des vannes. Toutes légères, ces bestioles difformes se comportent comme une joyeuse troupe de fées qui vous escorte direction le pays des merveilles. Elles vous jettent quelques remarques, vous demandent avec curiosité vos noms, vos origines. Elles vous parlent de R, elles vous affirment qu'il est génial, généreux, bien intentionné, et qu'il va transformer votre vie malheureuse en une super belle fête, si vous vous tenez prêts à l'écouter. Ces monstres affichent tous d'atroces mutations qu'ils n'essayent même pas de vous cacher, dévoilent fièrement des attributs animaux, des membres supplémentaires, des anomalies de proportions. Des cadeaux de R.

Le seul qui rigole jamais, qui garde sa gueule d'enterrement et qui sait pas communiquer autrement que par grognements désagréables et réflexions glaçantes, c'est le gros gars à fourrure d'ours qui t'a accueilli à l'entrée. Tanner, il s'appelle, apparemment, c'est ainsi que les monstres l'ont désigné plusieurs fois en tout cas. Tanner ferme la marche, vous suit de loin et vous afflige d'un regard crasseux, méfiant.

Il y a aussi cette femme, enfin, si on peut appeler ça une femme, qui a pris la tête de l'expédition. Elle a la gueule constellée de petits yeux noirs, de grandes cornes verdâtres giclent de son front et dessinent des fractales improbables. Son dos cabossé laisse entrevoir des ailes de libellules atrophiées. Elle présente aussi une belle chevelure, longue et lumineuse, elle rayonne. Cette anatomie sorcière est un vrai doigt d'honneur adressé à la nature ! Aucun doute, elle est une fée, une idée de fée engendrée par R, qui sert de premier chapitre à l'histoire qu'il veut raconter aux nouvelles recrues...

Les boyaux d'Epistopoli n'ont aucun secret pour cette brave compagnie. Ils vont font marcher tout droit sur des kilomètres, puis vous font virer de bord, prendre des virages, grimper, descendre des échelles, vous faufiler dans des conduits étroits, et vous font traverser une immense station d'épuration, véritable cathédrale souterraine bâtie d'acier et dont les relents de mazout collent la nausée à tout le monde.

Certains d'entre vous ont l'impression de tourner en rond, pourtant il n'en est rien.

Soudain, la libellule s'immobilise, arrêtant tout le groupe. Elle jette un oeil à la montre, prend quelques minutes de réflexion, se concerte avec la femme à queue de félin et avec l'homme-sauterelle, puis se tourne vers vous.

Elle vous bourdonne quelques explications, en désignant la grande plaque qui se tient au-dessus de vous :

« On va remonter là. Vous vous êtes bien dégourdis les jambes ? Tant mieux ! C'est maintenant, la partie excitante. Vous savez courir vite, les copains ? »

Les mutants se marrent. Toi, pas trop, non ? Qu'est-ce qui va se passer ? Les vagabonds se jettent des regards inquiets.

« Là-haut, on débouche au milieu d'un réseau de chemins de fer. C'est le coin rêvé d'où surgir, c'est paumé au milieu de nulle part, les flics passent jamais ici, et y a pas de caméras.

L'ennui, c'est les trains de marchandise... Ils sont nombreux, ils filent comme des balles, et en pleine nuit, ils oublient souvent d'allumer leurs phares. Vous voyez ce que je veux dire ?

Collez vous à nous, emboîtez nos pas, soyez rapides et réactifs, et tout se passera bien. Si vous faites les cons, vous finirez en purée étalé sur la carcasse de l'un de ces engins, et j'en serais vraiment attristée »
qu'elle vous explique en concluant sur un clin d'oeil.

Le vieux clodo, à bout de souffle, s'effondre à genou dans la boue, sa tête tombe entre ses mains. Terrifié, il se rend compte qu'il ne terminera pas ce voyage. La femme qui avait trouvé le courage de prendre la parole s'approche de lui pour le réconforter.

La fée reprend, tentant de vous offrir un petit espoir :
« Je sais que c'est flippant, mais sachez qu'après ça, vous serez en ville. Au coeur de la zone industrielle d'Epistopoli.

R vous accueillera dans sa jolie maison.

Vous aurez gagné ! Génial, pas vrai ? Vous y êtes presque, souriez un peu ! »


L'homme-ours dégage une échelle planquée dans un tas de détritus, puis la place en-dessous de la sortie. C'est la dernière ligne droite...
Mer 9 Aoû - 13:50



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Ft. Ratamahatta


Le puis de lumière vers lequel nous nous dirigions n’avait rien d’aussi excitant que ce que j’avais imaginé. Ce n’était qu’une grande salle circulaire servant d’embranchement à de nouveaux couloirs sombres qui dégageaient tous la même odeur néfaste. Quelque chose me disait que nous n'étions pas prêts d’arriver à destination. Nos hôtes avaient l’air de connaître le chemin par coeur et de savoir qu’on en avait encore pour un bon moment. Je prenais mon mal en patience, leur emboîtant le pas dans le couloir qui laissait échapper le pire parfum d’entre tous.

Nos guides avaient beau essayer de nous rassurer, le groupe faisait peine à voir. Contrairement aux mendiants, ils avaient l’air en pleine forme. Contrairement à nous, ils avaient le ventre plein et la peau ou le pelage propre. Ils avaient beau tenter d’être sympathiques, leur anatomie contre-nature n'aidait pas à mettre en confiance les vagabonds. Je voyais leur regard apeuré passer d’un mutant à l’autre. Qui que soit ce R, il s’était entouré d'individus étranges. Mais à les voir discuter entre eux et avancer dans la pénombre, seuls nous avions l’air de les penser différents. À cette pensée, un sourire timide se forma sur mon visage. Il était hypocrite de penser ainsi. J’étais moi-même différent, une aberration en lutte constante contre la Nebula qui dormait en moi.

Mon sourire disparut rapidement. Devant moi, le doyen du groupe ralentit le pas, trop épuisé pour continuer. Nous marchions depuis trop longtemps et le ventre vide. Nous avions tous mal au pied et la moitié d’entre nous avait le souffle court. Je m’approchais du vieillard pour lui proposer mon aide. Il la refusa gentiment, me priant de garder des forces pour la suite. Je pouvais lire dans son regard une étincelle de fierté encore présente malgré tout ce qui avait pu lui arriver pour qu’il en soit réduit à cela aujourd’hui. Je l’aidais à se redresser et le laissais continuer à avancer en silence.

Finalement, la fin du chemin n’était plus très loin. Ou du moins c’était l’impression que donnait notre cortège. Au-dessus de nous se trouvait une plaque de métal semblable à celle par laquelle nous étions entrés dans les égouts. La plaque vibrait étrangement et à intervalle plus ou moins régulier. À vrai dire, toute la cuve de produits toxiques dans laquelle nous étions, semblait vibrer. La surface de l’eau d’un vert crémeux semblait frissonner au même rythme que la plaque. Allions-nous sortir au beau milieu d’une usine ou d’un chantier ? Non, c’était bien pire que cela… Le groupe ne s’en sortirait jamais. Les quelques paroles de réconfort de la femme libellule n’allait pas soudainement les transformer en athlètes. Je m’approchais d’elle pour discuter à l’écart du groupe.

“Ils ont besoin de se reposer. Ils ne tiendront jamais la cadence à courir derrière des trains. Regardez notre état, on n’y arrivera jamais.”

“Pas l’choix.” L’homme ours qui ouvrait la voie se tenait sur la première marche de l’échelle. “C’est plus dangereux ici avec la police et les produits toxiques. Faut continuer.”

Génial. Nous étions onze… Je doutais qu’il en reste autant à notre arrivée. Mais nous n’avions apparemment pas le choix. J’aidais les mendiants à prendre l’échelle et à grimper vers la sortie. Si nous voulions nous en sortir, il allait falloir être organisé. J’avais rapidement briefé le groupe sur l’ordre dans lequel nous devions avancer. Mes automatismes de l’armée ne m'avaient pas encore quitté. Il n’était pas question de laisser qui que ce soit derrière. Le vieillard allait être en tête, comme ça si jamais il trébuchait, il y aurait toujours quelqu’un pour l’aider à se relever. Je fermerai la marche pour aider en cas de besoin et m’assurer qu’on avance tous. J’étais le plus rapide et le plus prompt à réagir en cas de besoin.

“Vous êtes prêt ?”

Caché dans un recoin, le petit groupe était réuni derrière les mutants. La plaque d'égouts refermée, nous étions prêts à nous lancer dans une course contre la mort. Les rails étaient juste devant nous des trains défilant dans les deux sens, à toutes vitesses et à intervalles réguliers. Il allait falloir être rapide.

“Maintenant !”

Les mutants s’élancèrent au pas de course. Le groupe pris de surprise démarra une seconde plus tard. Nos guides savaient comment se déplacer sur les voies ferrées. Instinctivement, les mendiants suivaient leur pas avec précaution. Leur instinct de survie avait pris le dessus sur la fatigue. Ils savaient qu’au moindre faux pas, ils ne s’en sortiraient pas. Même le vieil homme semblait s’en sortir. Par instant, il glissait sur les rails, mais à chaque fois quelqu’un venait l’aider à continuer. La mécanique semblait bien huilée. Mais nous n’avions pas encore rencontré de réel danger. Comme s’ils chronométraient l’arrivée des trains, nos guides nous faisaient avancer de check-point en check-point avec prudence. Pour l’instant, tout se déroulait bien. Mais je sentais la tension monter et nous n’étions pas loin de commettre une erreur. Nous attendions en silence que le train ait fini de passer, caché derrière un pylône pour continuer notre route.

Dès que le sifflement du vent s'arrêta, la libellule nous cria d’avancer. Le groupe reprit sa course vers la sortie. Mais le vieil homme avait de plus en plus de mal à tenir la cadence. Au début, en tête, il perdait de l’avance sur nos camarades. Il n’arrivait pas à maintenir le rythme comme les autres dont l’adrénaline compensait leur manque d'énergie. Il ne fallut pas bien longtemps pour qu’il ne s’écroule quelques mètres devant moi. Suivant mes consignes, la personne la plus proche s’approcha pour l’aider à se relever. Mais le sifflement strident d’un train à l’approche détourna son attention. Je vis la panique dans ses yeux et elle guidait ses choix. Il se releva, abandonnant le vieillard à sa perte. Je me précipitai pour aider le doyen. Mais il était lourd et le train arrivait trop vite. C’est à ce moment qu’une sensation encore trop étrangère à mon corps m’envahit. Sans m’en rendre compte, je puisais dans mes derniers retranchements pour lui venir en aide. Le pouvoir de la Nebula commençait à couler dans mes veines, brûlant l’intérieur de mon corps jusqu’à mes iris bleus changeant de couleur pour un violet intense. Mon corps semblait tout à coup léger et agile. Une simple pression de mon pied sur le sol me fit bondir en avant, traînant le corps du mendiant avec moi.

C’est à ce moment que je la remarquai. Elle avait fait demi-tour, courant vers nous pour nous aider à avancer. La femme qui avait remonté le moral du vieillard et n’avait pas voulu le laisser à la traîne quand nous étions dans les égouts. Mais j’allais trop vite, je ne pouvais pas m'arrêter. Je ne pouvais pas la sauver. Pris dans mon élan, je la dépassais, la laissant à mi-chemin entre la sécurité et une mort certaine. Quand ma course s'arrêta à proximité du groupe, il était trop tard. Je me retournais pour voir le train passer, emportant en un éclair le visage apeurée de la jeune femme qui avait voulu nous aider.

Nous n’étions plus que 10. J’essayais de réfréner l’élan de culpabilité qui naissait en moi. Je n’avais pas pu la sauver. Je ne pouvais plus rien y faire. Et nous devions continuer à avancer. Mais je doutais que ce soit la seule perte de la journée. Les mendiants étaient terrorisés.

“On est encore loin ?”

“C’est juste là. Plus que quelques mètres.”

“Allez. On y est presque. Essayez de tenir jusque-là.”

La proximité de notre porte de sortie semblait réconforter certains d’entre nous. Nous pouvions le faire. Le groupe essaya tant bien que mal de se reprendre et de garder espoir. Moi, j’aidais le vieil homme à se relever et à se tenir sur moi. Mais je savais que la probabilité de s’en sortir était mince. Il n’osait pas le dire, mais je l’avais vu. Mon excès de vitesse ne l’avait pas épargné. J’avais entendu un craquement étrange et je pouvais voir sa cheville enfler à vue d'oeil. C’était impossible à réaliser. Mais je n’allais pas l’abandonner. Pas après ce qu’il s’était passé.

Dès que le go fut donné, nous nous élancions derrière le groupe. Et nous étions lents. Aucun train ne semblait arriver pour l’instant, mais ma vitesse m’avait quitté. J’avais puisé dans ce qu’il me restait en énergie et le doyen pesait de plus en plus lourd. À mi-chemin, un sifflement lointain commença à se faire entendre. Tout le monde sauf nous était arrivé à destination. Tant bien que mal, j’essayais d’avancer rapidement vers la sortie. Mais la patte folle de l’homme n’aidait pas. Nous étions tout proches, mais les deux grands yeux globuleux du train de tête se faisaient de plus en plus intenses. Trop tard, nous n'allions pas réussir.

C’est alors que deux mains étrangement fermes et puissantes se posèrent dans mon dos et me poussèrent vers la sortie. Pris dans mon élan, je tombais en avant vers le recoin à l'abri du chemin de fer. Ignorant la douleur de ma chute, je me retournais rapidement pour voir l’ouverture à présent close. Je ne voyais plus le vieil homme, mais seulement les wagons d’un train passant à toute vitesse.
Mer 9 Aoû - 23:04
Un rituel de passage, d'une certaine manière. Telle la traversée d'un fleuve mythique et mortel, derrière lequel se dresse à perte de vue l'Enfer epistote. Inévitable, ce rituel a aussi une utilité cruelle pour le projet de R. Il exerce un tri en éliminant les plus faibles physiquement, ceux dont les corps n'étaient de toute façon pas exploitables dans le cadre des projets scientifiques et artistiques de la chimère. A contrario, il permet parfois de déceler de l'or, des petits lingots d'or sur pattes.

Tu as été repéré. Ton comportement et ton étrange capacité ont été repéré par l'un des membres de votre joyeuse escorte. Ce qu'il a vu lui a plu, beaucoup plu. Toi, le lingot d'or aux cheveux gras et à la barbe hirsute, faut à tout prix te garder !

Bref, pour les mutants, cette traversée était une partition. Mieux ils la jouaient, plus ils sauvaient d'âmes. Rechercher éperdument la liberté, ça conduit souvent à une mort vaine. C'est une réalité que tous les suivants de R connaissent et assument, le fondement du pacte qu'ils ont tous passés avec R en échange d'une vie plus douce.

Le courage est parfois fils du désespoir.

Les vagabonds se rassemblent tous auprès des mutants, ceux-ci semblent ravis de voir autant de têtes restées sur leurs épaules. La libellule vous compte, et constate que neuf survivants sur onze, c'est vraiment un très bon résultat. Une nuit fructueuse et réussie ! Ce troupeau-là s'est montré vaillant, c'est de bien belles bestioles que Boris nous a récolté ce soir.

« MONSTRES ! PUTAIN DE MONSTRES ! Il... Elle... Vous les avez tués ! SALOPARDS ! POURQUOI VOUS NOUS AVEZ FAIT REMONTER AU MILIEU DES TRAINS, SALOPARDS ! »

Le plus jeune d'entre vous commence à péter un plomb. Tanner se glisse derrière le sale gosse et lui plaque son énorme main contre la bouche, car ce petit crétin, s'il disjoncte trop bruyamment, pourrait nous attirer de la visite inopportune.

La libellule s'approche doucement de lui, elle est gavée, lassée de ce genre de réaction immature, à chaque fois c'est la même chose, un geignard vient leur reprocher d'essayer de leur sauver la vie ! Elle expose au gosse la sinistre vérité.

« C'est la route la plus sûre d'entre toutes. Tu réalises que c'était le seul moment vraiment risqué du voyage ?  

Tu veux finir plié en six sous le camion d'un routier véreux qui te refourguera à un labo dès qu'il en aura l'occasion ?
Tu veux couper ton trou dans le grillage et te faire bouffer vivant par les clébards de la patrouille nocturne ?
Tu veux faire copain-copain avec des gangsters qui se serviront de toi comme mule puis te jetteront au fleuve béton aux mollets quand ils se seront lassés de toi ?

Vous êtes des sans-papiers à Epistopoli. On est les seuls ici à vous dérouler le tapis rouge, mon chou. Alors un peu de gratitude, s'il te plaît. »


Le jeunot ferme sa gueule, larmes aux yeux. Il n'a rien à répondre à la fée, alors Tanner le relâche.

« Soyez pas vilains et ingrats devant R ! »

Dans ses mauvais jours, R est très susceptible, et explose terriblement fort s'il interprète une remarque comme un manque de respect. En général les cérémonies d'accueil le mettent en joie, mais il peut lui arriver de dérailler lorsqu'une recrue lui sort par les trous de nez. Alors il se met à proférer des insanités hérétiques et à laisser gicler des torrents de fluides partout par terre et ça devient bien compliqué d'expliquer aux petits nouveaux ce qui se passe. On espère que ça n'arrivera pas !

Constatant qu'elle a jeté un froid, notre pote libéllulle se rattrape :

« Félicitations à vous tous ! Il ne peut plus rien vous arriver !
Bienvenue à Epistopoli ! Bienvenue chez R !
Souriez, ceci est le premier jour de votre vie. »


Les rues sont désertes. Pas un chat, pas un rat. Si, en fait, des rats. Beaucoup de rats, aussi des corbeaux. Ce sont les derniers résidents "normaux" de ce quartier désolé, composé principalement de logements ouvriers insalubres, et d'usines délaissées par leurs entreprises au profit de structures plus modernes.

Vous marchez dans un silence de mort. Tes camarades vagabonds n'osent plus lever la voix, submergés qu'ils sont par l'inquiétude. Ils ont réussi, ils sont à Epistopoli. Mais ça ne leur procure aucun espèce de bonheur. Car ils n'ont rien, rien du tout, à part la compagnie de ces monstres. Seuls au monde, dans un univers opaque, piégés dans ce conte de fée incompréhensible raconté par ce R. Est-il vraiment un homme bon ?

Vos amis monstrueux se taisent aussi. Parce qu'il faut pouvoir reconnaître un son suspect qui viendrait agiter ce sinistre ghetto... La police epistote, ces robots de viande à qui on a offert la violence légale ? Ou un gang quelconque constitué de bâtards cyniques et cupides, comme y en a des dizaines dans la Basse-Ville ?

R et ses proches ont de nombreux ennemis, des brutes vénales et idiotes, insensibles à la noblesse et à l'Art.

La silhouette d'une grande usine se dresse devant vous désormais, titan de brique et de fer. Ces grands murs en brique rouge lui donnent un air de château fort flottant dans un océan de ténèbres. Les mutants soupirent de contentement et de soulagement, se tapent dans les mains et plongent dans une douce hystérie. Vous êtes arrivés !

La portée d'entrée, un colossal grillage rouillé bouffé jusqu'au trognon par l'humidité, est surplombée d'un panneau indiquant sobrement "RAFFINERIE CENTRALE". Il est à noter que le premier R du mot "raffinerie" y a été repeint en rose pétant, amusant clin d'oeil au nouveau maître des lieux.

Ça fait quelques décennies que cette usine n'a plus fonctionné. Le couloir d'entrée est délabré, maculé ici et là de symboles grotesques peints par les sagouins locaux.

Au bout de ce couloir, s'étend à perte de vue une gigantesque cour, autour de laquelle se déploient ce qui étaient autrefois des bâtiments de bureaux. Encore de la vieille brique rouge, typique de l'Epistopoli du début du XIXème siècle. Ce qui est plus contemporain, c'est la décoration. Des petits détails à croquer dans tous les sens, dont raffoleront les yeux gourmands. Des poèmes macabres rédigés sur les murs, des drapeaux étranges dressés en haut des toits. Les fenêtres brisées qui laissent entrevoir d'étonnantes silhouettes, des curieux vous observent depuis les hauteurs !

De petites statues éphémères sont déployées ici et là dans la cour. Elles représentent des formes abstraites, parfois des profils animaux ou des structures géométriques complexes, modelées dans une étonnante matière bleue gluante et fluorescente. Ces statues semblent se mouvoir dans la nuit, t'observer de loin.

Ajouté à l'aspect exotique de certaines fleurs s'épanouissant autour de vous, ce jardin ressemble davantage à une peinture surréaliste qu'à un vrai lieu. Peut-être êtes-vous tous endormis et que vous partagez un joli rêve commun ? Il y a sous vos pieds de petites fleurs déployant de grasses tentacules, elles présentent parfois un oeil humain révulsé en guise de pistil. N'y prêtes pas trop attention : ces plantes ont servi de brouillons à R, et sont vouées à être rapidement remplacées par des idées botaniques plus raffinées... et plus réussies.

Les odeurs du jardin sont en tout cas très agréables, subtiles et envoûtantes ! Ce qui vous permet de reposer vos narines exténuées. Vient s'ajouter cette musique diffuse que vous pouvez percevoir au loin si vous tendez l'oreille, un son doux et enjoué.

Comme si vous étiez dans l'antichambre du paradis !

« Je vous propose de prendre une bonne douche, et de vous servir en linge propre. Felipe vous accompagnera aux vestiaires si vous le désirez. »

Felipe, c'est l'homme-sauterelle. Il vous adresse un salut de la main, puis éclate de rire sans raison apparente.

« Une fois que vous serez tout beau, relaxez vous, papotez, visitez, faites comme chez vous !
On se retrouve ici dans vingt minutes, je vous amènerai dans notre salle de réception.
R vous y attendra, il vous prépare un beau banquet ! Vous devez avoir teeellement faim ! »


Tanner, le gros ours, s'est assis dans l'herbe et s'allume une étrange cigarette, suspicieusement longue et odorante. Il est rejoint par plusieurs mutants de votre escorte qui s'offrent une pause bien méritée après avoir crapahuté trois heures comme des dératés.

Vous êtes enfin invités à prendre soin de vous. Tes camarades se divisent en plusieurs groupes. Certains sont déterminés à se ruer sur les douches, tandis que d'autres papotent entre eux, un air inquiet fiché sur leurs visages.

Tu sens une main se poser sur ton épaule.
« Je t'ai vue faire, tu sais » la femme à queue de félin t'aborde.
« Oh, allez, je suis pas dupe. Tu es devenu comme un courant d'air, l'espace d'un instant. Trop rapide pour un corps humain. T'es pas normal. »

La tigresse a plutôt apprécié que tu te démènes pour tenter de sauver les deux zozos qui se sont fait éclater. Tu donnais des ordres, tu prenais des initiatives, tu aidais les misérables à s'organiser, et tu as surement sauvé la peau de certains sans t'en rendre compte. Dans un contexte extrême de survie, c'est une touche de solidarité rare.

« Je sais pas d'où tu sors mais t'as l'air doué, et tu aides les gens. Un mec bien. Je peux te donner un conseil ?
Parle à R de ce que tu sais faire... Il va ADORER ton style ! »
Jeu 10 Aoû - 8:03



Entrer sans sonner

Ft. Ratamahatta


Le sifflement insoutenable du train défilant à toute vitesse ne voulait plus s’en aller. Pourtant le train était déjà loin, certainement inaudible pour une oreille humaine. Les images de la locomotive frappant de plein fouet la jeune femme et des wagons défilants sur les restes du vieil homme, restaient gravées sur ma rétine. La culpabilité ne me quittait pas. Ma tentative de sauvetage avait couté la vie de cette femme tout ça pour que lui aussi ne s’en sorte pas. A quoi avais-je servi ?

Encore sonné, je suivais comme un robot le groupe qui sortait enfin du tunnel. Je ne faisais plus attention à ce qu’il se disait, ou au chemin que nous empruntions. Une légère brise nocturne caressa mon visage et tenta de me ramener à la réalité. Elle n’était pas rafraichissante. Le vent porteur des particules de pollution ne l’était jamais à Epistopoli. Cette simple pensée parvint à me tirer de ma rêverie. Nous étions à Epistopoli. Nous l’avions fait.

Je regardais enfin autour de moi. La nuit était encore là. Je ne savais pas combien de temps nous avions passé dans les égouts et sur les voies ferrées. La ville, ou plutôt ce quartier désaffecté était encore profondément endormi. Il n’y avait pas un chat dans les rues. Seules des bâtisses aux fenêtres barricadées de planches de bois et autres matériaux de récupération nous faisaient face. De temps en temps, je pensais appercevoir une paire d’oeil entre deux planches, observant discrètement notre passage sans faire le moindre bruit. Personne ne venait perturber le silence religieux de la basse ville. Nous avancions sans bruit.

Mais le voyage ne semblait pas fini pour autant. Je pouvais voir au regard de certains mendiants qu’ils étaient exténués et qu’ils avançaient machinalement en attendant d’arriver. Certains se sentaient gagner par l’excitation. Ils l’avaient fait ! Ils avaient survécu. D’autres voyaient la panique monter. C’était seulement maintenant qu’ils se demandaient ce qu’il avait bien pu troquer contre ce passage dans la ville. Étrangement, nos guides n’avaient pas l’air de se réjouir pour autant. Ils étaient sur leurs gardes. Chaque oeil visible dans la nuit attirait leur attention et valait une menace de leurs canons. Nos hôtes ne semblaient pas avoir que des amis ici bas.

C’est finalement à l’approche d’une raffinerie désaffectée que les dos se relaxèrent et les armes se baissèrent. Étions-nous arrivé à destination ? Sur la grande grille rouillée, le R de la raffinerie portait la marque de notre bienfaiteur. Oui, c’était définitivement notre point de chute. Allions-nous enfin rencontrer cette créature étrange ? Après ce voyage avec ses serviteurs, je peinais à me faire une image de cette hôte bénévolant. Pour se faire respecter de ces créatures difformes, j’imaginais un être chimérique à l’aspect bestiale et terrifiant. Ou peut être était il le plus “humain” d’entre tous. Un bienfaiteur aidant les délaissés de la société prônant l’acceptation dans une monde où les différents étaient rejetés. Cette vision aurait pu me plaire. Mais je doutais encore de ne pas avoir laissé mon âme dans ce contrat avec Boris. Je ne savais toujours pas quel allait être le prix de mon passage.

Une chose était sûre, c’était que le jardin de R était aussi inhabituel que ses partisans. La fatigue me jouait certainement des tours, mais j’étais certain que même les statues me suivaient de leurs yeux figés dans la pierre. Tout ce que je voyais et sentais semblait avoir un effet étrangement relaxant. J’aurais pu me laisser emporter dans un profond sommeil, laisser mes paupières se fermer, et me réveiller au pied d’un arbuste fluorescent après une décénie de rêves enchantés. Mais un frisson glacial empêchait mes yeux de se fermer. Cette fantasmagorie avait quelque chose de dérangeant autant qu’elle ne m’attirait. Oui, une douche ne me ferait pas de mal. Cela faisait plusieurs semaines que je n’avais pas fait une vraie toilette. Cela me tiendrait certainement éveillé. Je me dirigeais vers Felipe quand une main se posa sur mon épaule.

“Ça devait être l’adrénaline.” Mensonge. Et la femme félin le savait probablement. Mais je ne tenais pas particulièrement à ce qu’on parle de mon don. Je ne le maitraisais pas. Et j’avais cette désagréable sensation que ce pouvoir ne m’appartenait pas, que je l’empruntais à un autre. Qu'elle me croit ou non, je ne lui laissais pas le temps de me répondre. “Et merci. Mais mon aide a coûté la mort à deux personnes aujourd’hui. Peut être que R va adorer ça. Mais je ne sais toujours pas ce que j’ai troqué pour entrer dans la ville. Je me réjouirai peut être quand je le saurais.”

Je laissais la femme à queue de chat sur place, me dirigeant d’un pas rapide vers Felipe qui avait disparu au détour d’un couloir dans une des batisses bordant le jardin. J’avais peut être était plus abrupte que je ne l’aurais voulu. Mais j’avais la désagréable sensation de devoir quelque chose à ce R. Ce n’était pas vraiment la vision de liberté que j’avais imaginé en me faisant passer pour mort et en fuyant mon passé.

La douche chaude me permit de me changer un peu les idées. Bon sang ce que ça pouvait faire du bien. L’eau qui s’écoulait le long de mon corps emportait avec elle toute la crasse de ces derniers jours. J’avais l’impression que du plâtre coulait le long de mes cheveux et de ma barbe. Mais je n’arrivais pas à me laisser aller complètement. Une petite voix me soufflait à l’oreille de faire attention, de rester sur mes gardes. Je n’arrivais pas à leur faire confiance. A telle point que j’en avais gardé mon sabre, ma dague, mon pistolet et mon journal à proximité, sous mon regard attentif. Il faut dire que le gout de l’eau qui coulait de cette douche avait un goût étrange qui n’aidait pas. Je ne savais pas si l’odeur des jardins ne voulait plus me quitter ou si l’eau elle-même en était infusée. Je n’étais pas sûr de vouloir manger quoi que ce soit au banquet qui nous attendait. Quelque chose clochait.

Une fois la douche finie, des linges propres nous attendaient. Je troquais des haillons sale contre des haillons propres. A dire vrai, ça n’avait pas de prix. Une fois ma barbe rafraîchit à l’aide de mon couteau, je tentais tant bien que mal de coiffer mes cheveux qui avaient retrouvé leur couleur d'antan mais dont j’avais la sensation que de petits grains de poussière s’y trouvait encore. Mon équipement attaché à mes nouveaux vêtements, mon vieux manteau long les cachant à moitié par-dessus, et ma sacoche en bandoulière j’étais prêt à rejoindre le banquet. J’avais toujours l’allure d’un mendiant, mais au moins j’étais un mendiant propre.

Et un bon nombre de vagabonds qui étaient venus avec moi avait eux aussi fait seconde peau. Certains trop inquiets, ou affamés peut-être, ne nous avaient pas suivis. Mais Felipe attendait patiemment que nous soyons changés pour nous montrer le chemin vers la salle dans laquelle nous attendait notre hôte devant la grande porte fermée d’où s’échappait une musique aussi envoûtante que le jardin, le reste du groupe était là. Ça y est, nous allions enfin faire la rencontre de R.
Ven 11 Aoû - 9:50
La musique devient plus forte, plus entraînante à chaque pas que vous faites en sa direction.
La porte de la salle de réception s'ouvre. C'est en fait l'entrée d'un gigantesque hangar, à l'intérieur se déployaient autrefois des dizaines de machines, mais il a été complètement réaménagé par ses nouveaux occupants.

Ce qui frappe, c'est le luxe simulé. Un luxe poussiéreux, grossier, perturbant. Des tapis richement ornés mais souillés, constellés de tâches. Des lustres suspendus au plafond, qui émettent d'étranges lueurs tamisées, de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. D'autres statues d'un goût douteux éparpillées dans la vaste salle, placées dans des mises en scènes incompréhensibles.

Une petite scène de fortune construite de l'autre côté du hangar, depuis laquelle un étrange orchestre nous régale de ses délicieux accords. Composée d'une grande limace aux bras indénombrables, d'une gigantesque femme à la tête anormalement écrasée, et d'un grâcieux centaure recouverts de tatouages de la tête aux jambes, cette bande s'applique à faire cracher d'étonnants sons à leurs instruments : instruments qui, dirait-on, ne viennent pas de notre monde, faits de fer et d'ossements.

Derrière vous, les portes se referment. Les mutants se répartissent calmement dans la salle, rejoints par d'autres de leurs camarades défigurés, parmi lesquels tu peux reconnaître Boris, voilà au moins une figure familière ! Vous êtes invités à avancer vers l'immense table centrale, sur laquelle s'étend un océan de vivres colorés.

Le maître de cérémonie vous attend tout au bout de la table, il adresse un salut joyeux et sonore à ses sbires.   

Une grande créature en peignoir, affalée dans son fauteuil violet. Il empeste d'un curieux parfum, à la fois brutalement fort et envoûtant, une invasion de douceur dans vos narines. Un grand sourire scie sa tête de mule, une bouche anormalement large qui chatouille ses longues oreilles et traverse son museau de part en part. Sa queue de paon semble comme vibrer d'excitation, affichant de curieux motifs psychédéliques. Sa crinière rousse est magnifique, brille d'un orange resplendissant.

Vous auriez beau chercher, il n'y a plus rien de naturel en R. Tout en lui est du fait maison !
R est ravi de vous voir !

Mais bien sûr que je suis ravi. Regarde moi ça ! T'as fais un beau petit boulot Boris on dirait ? T'as dégoté de jolies bestiaux ? Perchés qu'ils sont entre surprise et peur, petits doigts boudinés crispés, bides gargouillant à l'unisson, perles de sueur roulant sur leurs fronts, ils sont magnifiques, beaux à se damner. Un merveilleux tableau vivant, dont je me perds dans les détails !

Je me lève d'un bond du siège, et de ma tendre voix suave,

« Bienvenue à Epistopoli mes amis !
Je suis Ratamahatta, c'est mon nom d'ange. Mais mes copains m'appellent R
On a fait bonne route ? On a pas les guiboles trop fatiguées ? »


Devant moi y a une longue table, interminable, qui traverse tout le hangar. Garnie à craquer de boustifaille, de belles protéines qui viendront épaissir ces petites brindilles qui leur servent de mollets. Les assaisonnements, les sauces et les épices, ont été concoctées dans mes petits labos avec grand soin, tu peux verser ces molécules sur n'importe quelle viandasse, ça te la transforme en chef d'oeuvre instantané. Je suis un talentueux chimiste, et donc, forcément aussi un bon cuistot !

« Je suis heureux de vous découvrir, mes cocos
Prenez un siège, croquez un bout, ouvrez vos coeurs
Rien ne peut vous faire de mal ici ! »


Ma ribambelle de nouveaux bonhommes se déploie avec méfiance devant la table. Ils doivent se demander : qu'est-ce que c'est ce drôle d'oiseau ? Ils doivent se demander : j'ai trop faim pour refuser son invitation mais tout de même ? Est-ce qu'il se mange ? Est-ce que Ratamahatta se bouffe ? Est-ce qu'il me laisserait lui mordiller une cuisse ?

Ça va être une putain de nuit je vous le dis, je m'y connais en nuit, sachez que c'est moi qui la fabrique ici !

Alors, ça suffit les regards inquiets au coin ! Qui sera le premier à se lancer ? Qui a assez de crocs et de couilles ?

« C'est... C'est pas empoisonné... ? »

C'est le jeune parmi eux qui demande ça. Une tête de linotte, il doit même pas avoir la vingtaine alors il se pose surement des tas de questions débiles du même acabit.
Mes copinous se crispent devant sa remarque impertinente. Pourquoi ? Ils ont peur que ça m'ait vexé ? Mais NON, bien sûr que je suis pas vexé. Au contraire, c'est la grosse poilade : je hennis de rire, puis le rassure calmement :

« Empoisonné ? Le seul poison là-dedans c'est l'Amour.
J'ai foutu tant d'Amour dans ce festin que vous risquez l'overdose ! »


Pas convaincus, voyez vous ça ! Faut attendre, faut juste attendre ! La méfiance et le silence sont systématiquement leurs réactions initiales. Quand t'en as un qui se débloque, les autres suivent. C'est toujours ainsi. C'est mécanique ! Ils finiront par se détendre le cul et par s'aligner sur mes ondes, vous verrez !

Zora s'approche de moi pour me susurrer quelques suggestions. Zora, ses yeux félins percent les âmes et débusquent les héros en herbe, elle est forte à ce petit jeu, très observatrice. A travers son rapport mutin, elle m'apprend que la majorité d'entre eux sont de banals clampins, mais que deux ou trois sont sortis du lot cette nuit.

« Celui-ci, je crois l'avoir vu manifester une vitesse surnaturelle. Il est peut-être habité par la Brume, mais si oui il nous l'avouera pas facilement », la tigresse me murmure en désignant un grand brun qui regarde ma bouffe de travers.
« Il s'est arraché pour sauver plusieurs de ses compagnons qui ont tout de même finis sous des trains. C'est mignon non ? Il est peut-être dangereux, ou peut-être parfait. A toi de juger, R ! » C'est vrai que ce lascar a l'air d'en avoir vu des dures. Il semble encore plus tendu que les autres. Es-tu dangereux ? Ça serait génial. Je suis accroc au danger ! Ici, nous adorons être dangereux tous ensemble !

Je vous laisse prendre vos marques ! Je vous observe en silence, sans jamais abandonner mon radieux sourire. Nous parlerons davantage plus tard, lorsque les ventres se seront un peu remplis. J'en sens déjà certains prêts à se décoincer, prêts à piocher dans mes pains de viande spéciaux !
Dim 13 Aoû - 10:53



Entrer sans sonner

Ft. Ratamahatta


Finalement, la grande salle restait cohérente avec le reste des quartiers de R. Les grandes portes s’écartèrent, dévoilant le centre névralgique de la soirée. C’était comme si les lieux avaient autrefois étaient habités par une noblesse d’une très grande richesse, ce qui était assez incongru dans une usine désaffectée. Aujourd’hui les tapisseries et autres ornements ne gardaient de leur charme passé que la forme. Vieux, poussiéreux, abîmés, les matériaux avaient perdu de leur éclat. Mais l’ensemble fonctionnait tout de même. Tout du moins, la cohérence des lieux pouvait avoir son charme. Et la créature qui siégeait à la tête de la table en face de nous semblait parfaitement dans son élément.

De toutes les créatures étranges que j’avais pu rencontrer jusqu’à présent, il était le plus réussi. Il y avait quelque chose de macabre chez la plupart des mutants de la pièce. Mais lui était différent. Sa tête d'équidé, montée sur un coup puissant, était parfaitement fusionnée avec son corps humanoïde. Un corps en pleine forme, musclé, saillant, auquel s'ajoutait une autre originalité : une queue de paon en éventail, dévoilant une multitude de couleurs chatoyantes. Le tout formait un ensemble étrangement réussi, mis d’autant plus en valeur par la décoration, les spectateurs et le groupe qui jouait en arrière-plan. Il était le centre de tout et le centre de notre attention. Enfin, nous rencontrions notre bienfaiteur mystérieux.

Ratamahatta était son nom. Tout chez lui était excentrique, jusque dans sa voix. Il nous invita à se joindre à sa table, ce que fit le groupe d’un pas hésitant. La nourriture sentait divinement bon. Mon estomac rugit face à l’appel des victuailles offertes par notre hôte. Mais je n’étais toujours pas rassuré après si peu de temps passé en compagnie des mutants. Je comptais laisser d’autres ouvrir le repas. Et je n’étais pas le seul à prendre mon temps. De toute évidence, les mendiants ne savaient pas encore s’ils pouvaient se lancer ou non. L’un d’eux me jeta un regard interrogateur, cherchant presque mon aval pour pouvoir ouvrir le bal. Je restais silencieux, évitant son regard, le dirigeant vers un autre mendiant plus jeune qui avait osé dire tout haut ce que nous pensions tous.

La réponse du mi-homme mi-mule mi-paon n’aida pas réellement à nous lancer. Pour autant qu’il se voulait accueillant, ses airs grandiloquents ne rassurant pas. Mais il fallait bien que l’un de nous ne craque à un moment ou un autre. La femme qui se tenait à ma gauche, n’en pouvait plus. J’entendais constamment son estomac se retourner contre lui-même. Chaque odeur qui émanait du festin était une torture. Si R avait souhaité nous empoisonner, il s’était sacrément investi à ce que la nourriture nous le fasse oublier. Ou peut-être était-elle tout simplement prête à prendre ce risque. Je pouvais presque voir des larmes couler au coin de son œil quand elle attrapa la cuillère et se servit une quantité de pommes de terre et de volaille dans son assiette.

Tous les yeux s’étaient tournés vers elle. Ils attendaient tous qu’elle ne commence. Et à peine avait-elle porté une première fourchette à sa bouche que le déluge de mains se ruant sur les victuailles commença. Tous se précipitèrent sur les plats variés et appétissants. Tous sauf moi. Avais-je raison d’être si méfiant ? Pourquoi avoir accepté l’offre de Boris pour ensuite remettre en question l’aide qui m’avait été apportée ? J’avais peut-être tort. Mais je ne savais toujours pas ce que cela allait me coûter. Et je voulais être sûr de le découvrir en pleine maîtrise de mes moyens. Je les regardais donc dévorer leurs assiettes, essayant de reconnaître les moindres signes d'intoxication.

Mais je sentais une paire d'œil se poser sur moi, interrogeant mon comportement et ma réticence. Ratamahatta et la femme à queue de félin me regardaient tous deux. Lui avait-elle raconté ce qu’elle avait vu ? De toute évidence, elle ne m’avait pas cru plus tôt. Préparaient-ils quelque chose de “spécial” pour moi ? Peut-être avaient-ils peur que la nouriture psychédélique ne soit pas suffisante ? Pour afficher un semblant de “normalité”, je me joignais à mes camarades de fortune. Je remplissais mon assiette de différents mets, n’y touchant certes pas, attendant toujours de voir si mes voisins allaient s'écrouler à côté de moi.

C’était encore plus difficile. La viande juteuse à présent dans mon assiette laissait échapper des embruns qui appelaient mon esprit à céder. Depuis combien de temps s'étaient-ils tous lancés sur leurs assiettes ? Je voyais que certains s’étaient déjà resservis. Je ne m’y connaissais que très peu en poison. Voire pas du tout. Mais un poison agissait probablement rapidement. Certains auraient très probablement déjà dû montrer des effets des toxines. Je ne risquais peut-être rien… Si je restais raisonnable…

La fourchette monta jusqu’à mes lèvres pour y déposer un petit morceau de viande. Elle était divine. Ma mère n’avait jamais été une bonne cuisinière. Mon enfance s’était résumée à une succession de viandes trop cuites, peu tendres, noyées dans des quantités de légumes en sauces pour les accompagner. L’armée n’était quant à elle pas réputée pour sa nourriture appétissante. J’avais connu mon lot de ragoûts et rations sèches. Pour moi, cette simple bouchée était un festin digne de roi. J’en prenais une seconde, puis une troisième, essayant tant bien que mal de me maîtriser. Mes yeux se posèrent à nouveau sur R, priant pour que mon manque de maîtrise ne scelle pas mon pacte avec le diable.
Mar 15 Aoû - 9:16
La soirée démarre bien tu crois pas, bonne ambiance bons copains ? Ça commence à s'empiffrer, il faut bien ! Faut pas rester malingres comme ça, moi j'ai besoin que ces nécessiteux bouffent un max, qu'ils deviennent bien forts et bien disposés. Pendant quelques minutes, je me contente de contempler le ravissant tableau que j'ai peins ce soir : mon banquet hypnotisant se faire dépouiller par une horde de chiffonniers, les bruits de mastication se font de plus en plus frénétiques, le tempo de leur gourmandise s'accélère !

Pendant ce temps, c'est au tour de Boris de venir me raconter sa soirée. Il m'explique comment est l'ambiance dehors. Flics tendus, qu'il dit, cot cot les poulets ont peur du paon. Ils savent que R recrute parmi les mendiants alors ils sont sur le qui-vive, mais Boris il est plus finaud qu'eux, enfin c'est ce qu'il me dit en tout cas, moi j'en suis pas toujours convaincu. Boris me cause superficiellement des onze cocos qu'il a récupéré, mais il insiste particulièrement sur l'un d'entre eux :

« Le mec qui te regarde, là, tu vois ? Je le connais d'avant d'te rencontrer. Sacré numéro. L'était collecteur de dettes ou tueur à gages, une canaille ou un truc comme ça. J'en suis quasiment sûr. C'est un dur, pas commode, mais là, il est devenu vachement fragile, faut profiter ! »

Encore ce mec ? Décidément c'est la reine de la soirée ! Je réponds :

« Zora m'a déjà glissé quelques mots sur lui. On dirait que ce gars est une étoile noire qui déborde de mauvaise lumière !
- Euh, j'irai pas jusque là, il...
- Si. Il brille plus que les autres, je le sens. C'est mon étoile noire. Allez pas lui foutre la trouille, surtout ! Je m'occuperai moi-même de son cas »


Ah, Boris ! Boris, il est ni drôle ni malin, autant dire que ce pauvre cul en mène pas large. Sa vraie saveur, c'est son opportunisme, mon Boris c'est mon requin à sentir le sang et le désespoir ! Sa gueule atroce lui donne une petite place dans mon coeur aussi ! Va pas croire que c'est à cause de moi qu'il est dégueu comme ça ! Oh bah non c'est pas ma faute si c'est un torchon vivant, moi je bosse bien quoi ! Figure toi que Boris est tellement con qu'il est allé donné son corps à un labo pharmaceutique en échange de sousous, c'est eux qui l'ont changé en rouleau de papier-cul ambulant, qui lui ont donné cette tête fort délirante mais pas présentable en société.

Je lui sculpterai une nouvelle chair quand j'aurai la matière première nécessaire. Boris, je le rendrai fantastique, j'ai déjà tout les plans. Me manque qu'à trouver une ou deux têtes de squales et ça ira illico s'allonger sur la table d'opé.

« Y avait aussi un vioque, il paie pas de mine mais...
- Le vioque ? Zora m'a dit qu'il était mort,
j'interromps Boris sèchement. Éclaté par un train. Je me fous des morts, moi je bosse sur du vivant : alors arrête de m'envoyer des morts, Boris.
- A-Ah, il est mort ! Dommage... Mais je te jure qu'il valait le coup, R... »

Une coquine vient de gerber bruyamment sur mon tapis ! C'est ça de se goinfrer, ça te transforme le bide en accordéon. Mes copains de corvée se dépêchent d'aller nettoyer la gerbe avant que ça ne gâte l'appétit de ces gourmets. Heureusement, la plupart n'en ont cure, les relents de vomi peinent à surpasser la puissance de mes arômes ! Mes petits plats sont comme une drogue !

En fait c'est littéralement une drogue, eh oui ! Je les drogue. Mais c'est pas aussi horrible que tu pourrais le croire.

C'est une drogue très légère bien sûr ! On va pas leur catapulter la gueule dans les plans fractales dès la première soirée ! C'est seulement un médicament délicat qui apaise, qui relaxe, qui ouvre subtilement le cerveau afin qu'on puisse y rentrer plus facilement. Ça les fera se sentir calmes et soulagés, en sécurité, ils devraient imputer ça au joli cadre et non à la bouffe que je leur ai servis ! C'est ma petite procédure à moi pour faciliter la confiance. Rien de tel qu'un délicieux anxiolytique fourré dans ta sauce tomate pour se détendre après une putain de sale journée, j'ai pas raison ?

Mon orchestre a changé de ton : ils sont passés sur des mélodies plus douces, plus langoureuses, afin de détendre encore davantage leurs nerfs. Petit à petit, la soirée transitionne vers une ambiance de détente, propice au dialogue et à la négociation.

Boris continue à blablater dans mes esgourdes mais j'ai déconnecté j'avoue ! J'ai remarqué que le brun ténébreux me matait toujours avec méfiance : j'ai renvoyé son regard, assorti d'un sourire. Tu veux me regarder ? Je vais t'offrir mieux mon gros : je viens à toi. J'abandonne brusquement Boris, qui me mire m'en aller de ses yeux hagards. Zigzaguant entre les convives, je contourne agilement la flaque de vomi que mes amis sont en train de frotter.

Ça y est, je suis devant toi.
Comme tu m'as vu approcher, je t'aborde sans chichis :

« Vous suivez tous Boris avec la même idée sous le crâne
Cette idée-là nous obsède aussi, moi et mes zouaves »


Tu réponds pas assez vite. Pas au tac au tac. Tu comprends pas de quoi je parle ? Roh la la. Une cuisse de poulet coincée dans la gorge coco ? Je t'aide :

« Je parle de la Liberté !
Mon rôle ici est d'offrir des ailes aux démunis et aux difformes. »


J'attrape une pomme sur la table, dont j'arrache une bonne moitié d'un grand coup de dents. J'ai une petite faim moi aussi ! Bah ça peut arriver en pleine nuit.

« Dis moi, d'où viens-tu ? »
Mar 15 Aoû - 11:01



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Ft. Ratamahatta


Je n’étais pas loin d’avoir fini de manger les quelques morceaux de viande, de pomme de terre et de légumes qui garnissaient mon assiette. C’était un délice, renforcé allègrement par l’absence de nourriture ces derniers jours. J’hésitais à me jeter sur le reste des plats qu’il restait à goûter. Après tout, je ne me sentais pas très différent d'avant avoir commencé le repas. Et le reste des convives ne semblaient pas affectés eux non plus. Ils avaient de l’avance sur moi. Mais aucun n’était encore tombé à la renverse. Si, l’un d’entre nous, trop vorace, avait dû recracher une bonne partie de son festin sous peine d’avoir une indigestion colossale dans l’heure qui allait suivre. À part ça, tout allait bien.

Tout allait même très bien. Je commençais à me détendre. La nourriture était bonne, personne n’était mort. Les endorphines commençaient à se répandre dans mon cerveau après un repas bien mérité. Si le regard de Boris et de R braqué sur moi ne me mettait pas mal à l’aise, j’aurais peut-être pu être heureux. Finalement, je n’hésitais plus tant que ça à prendre une seconde assiette et commençais à me servir. Le gratin avait l’air succulent d’après la tête du mendiant qui me faisait face. L’homme avait un sourire stupide ancré sur son visage. Il ne le quittait plus. L’homme avait presque du mal à marcher tellement son sourire contractait son visage. Le jus coulait dans sa barbe hirsute, son regard hagard, était perdu dans un pan de l’univers qui me semblait inaccessible, sa tête balançait d’un côté à l’autre, comme si son cou n’était plus qu’une fille tige de roseau.

Cette vision étrange me fit sourire à mon tour. Je retenais un rire enfantin. C’était drôle, ridiculement drôle. Pourquoi était-ce si drôle ? Je ne pouvais m'empêcher de rire et l’homme ne pouvait s'empêcher de me répondre. Cela aurait dû m'inquiéter. Pourquoi est-ce que cela ne m’inquiétait pas ? J’étais léger. Comme ce repas était bon… Est-ce que je m’étais resservi ? Ah oui. Le fameux gratin attendait dans mon assiette. J’en coupais un petit morceau. Je le portais à mes lèvres. C’était bon. Je souriais. Les gens autour de moi souriaient aussi. Ils sont gentils. Je suis bien tombé. Je retiens un autre rire. Une femme à l’autre bout de la table vient de s’affaisser dans sa chaise et regarde le plafond. Ses yeux clignent comme pour lutter contre le sommeil. Ça donne sommeil de manger. Mais je n’ai pas envie de dormir. Je suis juste détendue. Un peu trop détendue. Pourquoi suis-je si détendue ? Je ne sais pas. C’est sûrement la nourriture. Je porte une seconde fourchette à ma bouche.

Arêtes !

Je sursaute, faisant bondir mon voisin de table qui me lance un regard désapprobateur. Qui a dit ça ? Lui ? À côté de moi, un grand homme vient d’arriver. Son visage est à contre-jour, mais on dirait qu’il ressemble à un cheval. Et quelle est cette étrange cape dans son dos ? Il fait un pas de plus vers moi. Ah, mais c’est R ! Notre hôte qui nous a nourris et logés. Il ne parraissait plus si inquiétant de prêt. Pourtant, il devrait l’être. Je ne suis pas familier avec les mutants, mais son regard dégage quelque chose d’étrange. Il attend quelque chose de moi. Il me pose une question. Me parle. Mais je suis trop détendu pour lui répondre. Pourquoi est-ce que je ne lui ai pas répondu ? Il veut nous offrir la liberté. C’est la liberté que je recherche. Je l’ai toujours recherché.

Tu n’es pas libre !

Qui a parlé ? Lui ? Non. Il me demande d’où je viens. C’est une longue histoire. Une histoire de mon passé que je fuis. Je viens de nulle part. Je suis né dans la brume. Et je ne sais pas ce que je suis, ce que je veux être. J’ai toute la vie pour le découvrir. Mais je ne suis plus Aramilan. Ni Epistote. C’est ma troisième vie. Mais je ne devrais pas le lui dire. Ça ne regarde que moi. Je n’ai pas de compte à rendre. Et pourtant, j’ai envie de parler. De parler pour dire quoi ?

“Je suis né à Aramila. Mais j’ai aussi été Épi…”

Tais-toi !

La voix est revenue. Et elle a raison. Pourquoi est-ce que je réponds si franchement ? Je ne devrais pas. Il y a beaucoup de choses que je ne devrais pas faire. Après tout, je ne sais toujours pas ce que nous veut notre bienfaiteur. Je ne suis pas du genre à faire confiance. Et pourtant, j’ai envie de parler. J’ai presque besoin de lui parler. Ce n’est pas normal. Et puis moi aussi, j’ai des questions. Pourquoi est-ce que je devrais être le seul à répondre ? Mon esprit est embrumé. J'hésite. Je pourrais continuer de lui raconter mon parcours. Mais la petite voix dans ma tête me hurle de me réveiller. Je n’ai pas très envie de l’écouter. Je veux continuer de parler. Moi aussi, j’ai des questions.

“Merci pour le repas. C’est vous qui l’avez préparé ?”



La voix s’est tu un instant. Elle est déçue. Ce n’est pas la question qu’elle veut que je pose. Mais j’ai faim. Je reprendrais bien une autre bouchée du gratin. Mais ma main semble appartenir à un autre. Je suis en lutte interne avec un inconnu qui semble vouloir m'empêcher de répondre et de manger. Pourtant, j’en ai envie. Ça me fait du bien. Mais j’ai l’impression que si je ne suis pas les ordres de la voix, je n’aurais pas le droit d’utiliser mon propre corps. Alors je le fais. J’obéis.

“Dites. C’est gentil de nous aider. Mais pourquoi vous faites ça ? Je n’ai pas d’argent. Personne n’a d’argent ici. Alors qu’est-ce que vous attendez de nous ?”

C’était libérateur. La camisole mentale sembla se desserrer légèrement. J’avais posé la bonne question.
Jeu 17 Aoû - 11:11
Un aramilian ! Ceux-là ont un charme paysan bien à eux. Qu'il est chou à complimenter ma cuisine ! C'est lui ton gros dur, Boris ? C'est lui ta canaille ? Mais regarde-le, il se régale ! Je crois bien qu'on est partis pour se régaler tous ensemble jusqu'à la fin de l'univers et au-delà.

« L'arrangement et les saveurs sont de mon fait. Mange pas trop vite ou ça va ressortir ! »

Va pas vomir sur mes tapis toi aussi. Faut pas gâcher ! Y a beaucoup d'amour, de sueur et de sang dans ce que tu bouffes.

T'as pas idée d'à quel point on en chie pour trouver des aliments de qualité convenable. Si tu te contentes de la négoce avec les contrebandiers locaux, ils feront monter les prix jusqu'à te demander tes bras et ton cul. Moi je veux que mon paradis devienne autosuffisant. On a développé des engrais de Brume, qui enjaillent nos légumes mais forment de vilaines tumeurs dans tes poumons quand tu les sniffes. Et puis tu crois que ça vient d'où, toute cette viande ? Entretenir un élevage de rats et de pigeons mutants c'est un fort vilain boulot.

Je suis satisfait que tu saches apprécier nos efforts. Vas-y, empiffres toi, arrête d'être hésitant comme ça. Tu veux encore du gratin, oui ou non ? T'es un peu toc-toc toi, hein ? Qu'est-ce qui se trafique dans cette petite tête ?

Je te sens dans les vapes. Pas dans MES vapes, mais dans TES vapes, et ça c'est intriguant ! Tu sembles pensif et tiraillé. Je devine que mes anxiolytiques ne suffiront pas à taire complètement toutes ces questions qui doivent rugir dans ta cervelle.

Faut ouvrir la soupape avant que tu n'exploses. Mettons les choses au clair.

« Je me contrefous du fric. Je bâtis une société -un paradis secret.
Un oasis de liberté au milieu de ce désert de béton
C'est par votre présence que vous me payez. Par vos actes, par vos secrets. »


Autour de nous mes goinfres deviennent ronds, de belles grosses balles avec qui je vais pouvoir jongler. Ils ralentissent le rythme. Quand ton estomac est plein à craquer, ambroisie ou pas ça rentrera plus ! Certains convives sont affalés sur des fauteuils avec un air béat gravé dans la gueule, et papotent joyeusement avec mes potes venus prendre la température de leurs âmes.

Tout se passe comme prévu jusque là. C'est normal car nous connaissons notre danse par coeur, et nos mots valsent avec grâce dans les oreilles de nos invités.  

« Je suis l'ange qui t'ouvre une porte. Veux-tu entrer dans mon monde ?
Tu y trouverais un toit. Une famille. Du travail. La liberté.
Des réponses. »
je complète sur un coquin clin d'oeil. Comprendras-tu que je me doute ? Zora l'a dit, elle te soupçonne d'être habité. Moi, je voudrais causer à ce qui rampe sous ta chair, dans les ombres de ton âme.

Si tu es vraiment un portebrume, je vais t'adorer, je te préviens, je vais avoir envie de t'ouvrir et de te déplier dans tous les sens -mais je le ferais pas bien sûr ! Pas sans ton consentement, oh la la ça non !

« Dans mon monde, le corps et la Brume ne sont pas des limites ! Nous les utilisons pour nous libérer.
Je peux ainsi réaliser beaucoup de voeux. Même les plus fous »
que j'ajoute, en lui montrant mon corps parfait en guise de preuve. Mon corps, ce chef d'oeuvre qui me sert d'enveloppe.

Mes mutants servent d'amis, de confesseurs, ou de psychologues ; parfois les trois en même temps. Les coeurs lourds s'allègent alors que ces misérables se retrouvent encerclés d'oreilles attentives et curieuses. Ainsi démarre la phase sociale de la fiesta. Tout autour de nous, les langues se délient.

L'initiation se fait ainsi, lentement, doucement, on ne brusque personne. Ah je ne force jamais personne ! Je les place simplement dans les dispositions nécessaires pour qu'ils fassent le meilleur choix, pour leur bien, le choix qui les fera glisser hors de la réalité, et pénétrer dans mon rêve.
Ven 18 Aoû - 11:03



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Ft. Ratamahatta


Encore des promesses de liberté. Étaient-elles réelles ? Pouvait-on vraiment être des Hommes libres ? Depuis ma naissance, j’avais recherché cette liberté. Mes choix avaient beau ne pas avoir payé, souvent par ma faute, c’était mon but ultime. Mais l’avais-je un jour été ? Je m’étais absolu de ma famille, puis de l’armée, puis des caravaniers, encore une fois de l’armée, et maintenant des expéditions. Chaque fois que je bouleversais ma vie, je pensais me rapprocher de cette liberté tant voulue pour en réalité revenir à mon point de départ.

Était-ce le cas cette fois encore ? L’homme-mule était grandiloquent, mais ne paraissait pas machiavélique. Tout du moins de premier abord. Et jusqu’à présent tout s’était passé en notre faveur. Mais tout cela était un peu trop beau. Je le croyais quand il disait ne pas vouloir d’argent. De toute évidence, vu l’usine désaffectée dans laquelle il vivait, et le niveau de vie que j’avais jusqu’à présent en ces lieux, il n’en avait pas besoin. Mais il attendait que nous lui rendions la pareille d’une façon ou d’une autre. Nous lui étions redevables. Je le concevais très bien. Et cela m’éloignait encore un peu plus de mon rêve de liberté.

Rejoindre sa famille était néanmoins tentant. Je n’avais jamais été seul après tout. C’était la première fois. Et jusqu’à présent, je ne m’en sortais pas si bien. J’avais été affamé, attaqué, blessé… La liberté ne voulait pas dire d’être seul après tout. Mais voulais-je rejoindre cette famille ? Un rapide tour de tête dans la salle me rappela que tous avaient l’air heureux. Un peu trop heureux. Moi aussi, j’avais l’impression de l’être. Alors pourquoi tous ces questionnements. Quelque chose clochait. Mais la petite voix dans ma tête semblait s’être assoupie. Elle était la voix de la raison. Et elle avait été libératrice. Plus que le discours de R.

C’était elle que je devais suivre. Mon instinct primaire. Je ne savais pas pourquoi je l’avais ignoré. Surement, la fatigue, le stress et un repas chaud avaient eu raison de ma réflexion. Pas seulement. Les paroles de notre hôte également. Et il avait une fois de plus touché juste. S’il avait réellement des réponses sur la Brume alors je devais l’écouter. J’étais prêt à beaucoup pour obtenir ces réponses. Mais de là à rejoindre ses mutants ? Je voulais voyager, découvrir le monde, et encore plus découvrir qui j’étais. Une chose impossible en restant ici. Alors que pouvais-je faire entre obtenir mes réponses et les abandonner ? Et puis je lui devais bien des services. Je comptais régler ma dette. Sans lui, je ne serais pas entré en ville.

“Je ne recherche pas une famille.” Mon esprit me jouait encore des tours. Je n’avais pas prévu de répondre si franchement. Ma parole semblait encore désolidarisée de ma pensée. Mais c’était vrai. Ce n’était pas ce que je recherchais. Ni un travail. Même si j’avais conscience que la vie n’allait pas être simple. “Mais la liberté oui. Et les réponses encore plus. Si je m'arrêtais ici, je ne saurais pas si je pourrais avoir les deux. Merci pour votre offre, mais je dois continuer mon chemin.”

C’était ce que je souhaitais. Au moins, si mon esprit était confus, ma parole, elle, ne mentait pas. Mais je lui étais toujours redevable. Et si je pouvais profiter de son savoir tant que j’étais là, alors je le ferais. Un échange de bons compromis en quelque sorte.

“Mais je ne veux pas partir sans avoir payé ma dette. Vous m’avez aidé et je veux vous rendre la pareille. Je n’ai pas grand-chose à offrir, si ce ne sont mes compétences. J’ai été militaire, longtemps. Et j’ai fait plus d’une expédition. J’ai aussi été un…” Non. La petite voix dans ma tête venait de sursauter. Je ne pouvais pas parler de mon passé de Caravanier. “J’ai aussi, eh bien, disons que je n’ai pas toujours suivi les règles à la lettre.” L'interprétation était libre. Je ne comptais plus tuer pour de l’argent. Mais je n’avais pas oublié cette part de moi que je devais encore laver. “Si je peux vous rendre le moindre service en échange de votre aide, je le ferai.”

Si le mutant acceptait, cela aurait peut-être effacé ma dette. J’allais espérer que ce soit le cas. Mais je n’avais rien à offrir d’autre pour ses réponses. Comment pouvais-je faire pour avoir plus ? J’étais venu à Epistopoli pour en trouver. Et ma première rencontre en avait peut-être. C’était une chance incroyable et je risquai de la laisser filer.

“Mais… Je cherche également des informations. Sur la Brume, et sur leurs porteurs.” De toute évidence, il savait. Je n’étais pas encore prêt à l’avouer. Mais nier aurait été futile. “Vous savez que je n’ai pas de quoi payer. Mais je peux travailler. Si dans mes propres recherches, j’en apprenais plus, ou si vous aviez du travail pour moi, j’échangerais volontiers tout ça contre des informations sur les Nebula.”

Il allait peut-être me jeter en pâture à ses mutants… Mais je devais tenter le coup. Je n’avais qu’à espérer que refuser son offre de devenir l’un des siens ne voulait pas dire finir au fond d’une fausse publique.
Ven 18 Aoû - 19:28
« Un homme d'action ! Savoir tenir un flingue dans le bon sens est un talent très utile, sois pas si humble »

Ils sont mignons mes copinous, mais ils en mènent pas large face à de vrais caïds, ben non ! La force de mon paradis vient du nombre et des aptitudes exotiques de mes petits monstres ; je magnifie les muscles et les sens de mes gardiens à mon bon loisir. Mais quand il s'agit d'appuyer sur une gâchette et d'insérer du plomb dans des corps, là on est malheureusement bien nuls !

Je suis un inénarrable PACIFISTE, type gars trop gentil, je laisse tout couler. Quand je bute quelqu'un j'en fais souvent pas exprès, c'est parce que j'ai le scalpel qui dérape ou la cervelle inondée de substances meurtrières qui ont pris le contrôle de mes jolies mains, des accidents bêtes quoi ! Tu m'as bien regardé ? Splendide et svelte que je suis ? Tu crois que j'apprécie salir cette enveloppe avec du sang et de la tripaille ?

Alors compter dans l'équipe un pro du meurtre... autant dire qu'il deviendrait vite la clé à molette de ma boîte à outils !

« Tu pourrais devenir videur pour mes Fiestas. Qu'en dis-tu ?  
Un travail de gros bras classique, de chasse aux indésirables.
Ça t'engage à rien. Tu protèges la Fête sans y participer »


La Fête c'est la plus miraculeuse des communions. La Fête est hystérique, cruelle, violente et magique. La Fête nous arrache nos âmes, les broie et les transforme en un smoothie délicieux à partager en famille. Quand j'organise une Fête, je sais que j'en ressortirai pas indemne, et je m'attends à y mourir à tout instant. Durant une Fête, on s'amuse, on danse, et on souffre. Ainsi est la Fête.

« Pour toi, videur, ça devrait être fastoche !
Mais gare ! Les videurs de la Fête ont le devoir sacré de m'aider à la maintenir aussi démente que possible, sur des jours, sur des semaines
C'est très IMPORTANT pour moi. Un rôle de GARDIEN. Tu dois prendre ça au SÉRIEUX. »


C'est une belle manière de lui faire découvrir ma galaxie tout en douceur. Il veut pas rejoindre la Famille, mais c'est souvent ce que babillent les recrues ! Après avoir joués les videurs sur deux ou trois Fêtes, ils rampent à mes pieds, bave aux lèvres, me suppliant de devenir acteurs des prochaines teufs, rendus dingues par ces effusions de sons colorés et de parfums mélodieux auxquels ils ne peuvent goûter que de loin.

Et toi, seras-tu différent ? Bah, qu'est-ce que j'en ai à foutre ? J'en ai rien à branler de ta différence. Tu m'as l'air magnifique et je te VEUX dans ma collection. Je vais m'employer à faire de toi un jouet totalement délirant. Là tout de suite tu joues le gars sérieux et emmerdant mais attends voir, donne moi un mois, non, deux semaines, et tu verras, à quel point je peux te métamorphoser, seulement par les mots, seulement par les sens.

Voilà que je redeviens subitement très sérieux ! Il est l'heure de lui causer franchement de son problème de Nebula. C'est du sérieux, ce truc-là, tu sais ? Si sa nebula dégénère, ce gars deviendra vite un automate de viande totalement inintéressant. Ce serait tragique, aussi bien pour lui que pour moi !

« Une Nebula, ça se suspend à l'esprit, une sorte de sangsue !
Il faut cesser d'en avoir peur. Il faut ouvrir le dialogue avec.
Faut se souvenir que c'est elle qui habite le corps, et pas l'inverse »


Ma voix plonge dans le grave, et je le regarde droit dans les yeux. Levons le voile, je connais ton secret. La Brume se manifeste de plein de manières tordues, et les portebrumes, parce qu'ils sont rares, sont des bestioles fascinantes dans lesquelles j'adore trifouiller.

« Faut pas l'écouter, tu es le seul maître de ta vie. Est-ce que tu laisserais ton estomac, ton pif, ou tes reins se rebeller ?
Tu es chez toi, c'est TON corps. La Nebula est sur TON territoire. Alors ne la laisse pas te soumettre.
Sinon, elle finira par te posséder, et tu deviendras son esclave. Ce serait vraiment ballot, pour un gros dur tel que toi ! »


Levons le voile, bien sûr que tu es tracassé par cette présence en toi qui te murmure des saloperies ! Mais quelles saloperies exactement ? Ooooh, que j'aimerais lui causer en personne, à ta nebula ! Décoince toi ! Vas-y, montre la moi !
Sam 19 Aoû - 11:56



Entrer sans sonner

Ft. Ratamahatta


Un don et une malédiction. Je n’étais pas le plus habile au tir. J’étais nettement meilleur avec une épée, un sabre ou encore une lance. Et j’étais meurtrié dague en main. Je n’étais pas sûr que cela soit un cadeau. Que retiendrait-on de moi si quelqu’un écrivait un jour mes mémoires ? Je n’aurais laissé dans l’histoire qu’un fantôme aux multiples assassinats pour le compte d’un organisme dont je ne connaissais pas les réelles intentions. J’avais toujours combattu, souvent tué. Et je ne l’avais jamais désiré. Aujourd’hui encore, certains cauchemars me hantaient. Je revoyais le visage des vies que j’avais prises. J’étais loin d’en être fière. Aujourd’hui, je voulais m’éloigner de cette vie. Je voulais même me racheter pour mes actes passés.

"C’est facile de dire ça quant un autre appui sur la gâchette." Ma langue avait encore fourché. Décidément, je ne savais pas ce que j’avais aujourd’hui, mais je ne maîtrisais ni ma pensée ni ma langue. "Pardon. Les derniers jours ont été rudes. Mais je ne redeviendrais pas un tueur pour autant."

Je voulais payer mes dettes. Mais pas à ce prix-là. Si je ne me fixais plus de limite aujourd’hui, je ne savais pas ce qui adviendrait de moi. L’homme mule allait devoir me proposer autre chose pour que j’accepte sa proposition. Et videur était loin d’être la pire proposition à laquelle je m’attendais. En fait, cela paraissait même plutôt simple. Je n’aurais à faire recourt à la force qu’en dernier secours. Et si force il y avait, elle n’avait pas à être meurtrière. Je devais bien être à même de maîtriser quelques individus un peu trop éméchés. Cela semblait plutôt facile. Et si ça me permettait de rembourser R et de lui demander quelques infos, je pouvais bien faire ça.

"Ça me paraît convenable oui. Si cela peut effacer ma dette alors je le ferais volontiers. Et je le ferai plusieurs fois si c’est le prix à payer pour votre aide. Mais à une condition. J’ai besoin de continuer ma route. Je tiendrai parole si je m’engage avec vous. Mais j’ai besoin de… Voyager."

Ce n’était pas tant voyager que de trouver des informations. Au sens large du terme. Sur ma condition de Portebrume. Mais aussi sur ce que je voulais être. Le monde s’offrait à moi et je ne comptais pas renoncer à cette opportunité. Mais si je m’engageai avec notre hôte, je devais tenir parole. D’autant plus s'il pouvait m’aider à comprendre les informations trouvées sur mon chemin. Car il semblait en savoir plus que je ne l’aurais pensé.

Il était bien loin de l’image que je m’étais faite des scientifiques Epistotes. Je les imaginais dans leurs tours d’ivoire, vêtu de tabliers blancs immaculés, travaillant dans des laboratoires à la pointe de la technologie, la barbe longue et des lunettes posées sur un nez grossier. Ratamahatta était loin de correspondre à cette description. Si scientifique il était, il dégageait l’aura d’un savant fou. Ce n’était que des aprioris. Mais les expérimentations interdites en apprenaient parfois plus que celles ralenties par les réglementations. Son regard dégageait cette folie inquiétante. J’avais la sensation que l’homme-mule aurait voulu m’ouvrir en deux pour regarder mon âme. Ou plutôt pour regarder celle de la Nebula.

Car il savait et il ne s’en cachait pas. En l’entendant parler de mon parasite, j’avais la sensation étrange que ce dernier se retournait dans mon corps. Confortablement installée, toujours assoupies, la Nebula ne s’agitait pas beaucoup. Mais je la sentais toujours présente. C’était comme avoir une démangeaison sous la peau. Gratter ne l’aurait pas réduite et rien ne la faisait passer. S'il existait un moyen de s’en séparer sans que je ne me transforme en monstre, j’aurais probablement accepté. En attendant, je n’avais pas vraiment d’autre choix que de ne pas ma soumettre à sa présence. Mais R avait beau me le conseiller, cela semblait plus simple à dire qu’à faire.

"J’essaie de ne pas y penser." Oui, ça ne servait plus à rien de nier. "Mais ce n’est pas si simple. Cela fait quelques semaines seulement. C’est nouveau. Et c’est comme avoir un nouvel organe qui n’en fait qu’à sa tête." J’étais encore très loin de maîtriser mes nouveaux pouvoirs. Et ma dernière utilisation avait coûté la cheville du vieil homme. "Est-ce que ma condition est définitive ? Est-ce que je lutterai toute ma vie contre cette chose ? J’ai entendu des rumeurs sur ce que deviennent les porteurs… Je ne veux pas finir comme eux."

Je ne croyais pas particulièrement en un après. Je priais machinalement des dieux en lesquels je n’étais pas sûr de croire. Je reconnaissais leurs enseignements et la force que l’on pouvait en tirer. Mais je n’étais pas pieux. Pour autant, je ne voulais pas finir en monstre dévoreur de chair. Je voulais que lorsque vienne mon heure, je parte sereinement. J’avais déjà été un monstre avide de sang. Je ne comptais pas le redevenir.
Lun 21 Aoû - 11:12
Il prend enfin la confiance ! C'est plus facile d'explorer le cerveau d'un sceptique que d'un petit animal timoré ! Petit à petit je lui fore le crâne, il me laisse rentrer dans ses pensées et goûter ses petits tracas. C'est mignon non ? Un portebrume nouveau-né ! Ceux-là te développent parfois un espoir pas possible, persuadés qu'ils échapperont à l'errance ou qu'ils crèveront avant au chaud sous leur couette.

La vérité mon pote, c'est que tu utilises ton âme à crédit. Vouloir voyager, c'est te lancer dans une course-poursuite que tu gagneras pas. La solution définitive à ton mystère aurait été de me rejoindre dans le rêve et de ne plus jamais te réveiller.

« Que oui ! Une Nebula, c'est une amie pour la vie. Elle restera à tes côtés jusqu'à ta mort et au-delà !
Voilà pourquoi il est capital de la dompter immédiatement, tant que ton âme est encore fraîche
Plus tu attends, plus tu lui laisseras de morceaux de toi. »


C'est pas tous les jours qu'on croise un portebrume presque entier. C'est un putain de miracle de tomber sur LE R peu de temps après s'être fait tripoté par la Brume, ce type se rend pas compte de sa valeur, ce type se rend pas compte qu'un joaillier expert tel que moi serait apte à sculpter de haut en large sa gueule de diamant pour la rendre étincelante. Mais, non, il préfère "voyager". VOYAGER ! Je me retiens de venir te mordre la langue là, faut pas dire de telles conneries, pas maintenant, pas devant un passionné tel que moi !

Je me contiens. Oh oui, je me contiens, c'est pas évident hein ! J'ai de la violence qui pointent à travers mes nerfs, mais je me contiens !

« J'ai inventé de petits pansements. Des traitements et des rituels qui aident à enchainer la Nebula.
Je suis disposé à t'en faire profiter si tu... travailles bien »


Nous ne nous connaissons pas de bien longtemps, après tout ! J'ai tout mon temps. Ne nous précipitons pas. Je sais que pour toi, je ne suis qu'un simple vendeur d'assurances, un vendeur d'assurances au long museau et au cul rempli de plumes. Vendons du rêve, vendons de l'espoir.

Mes médocs mystiques, ils sont carrément expérimentaux. Des substrats éthériques que j'obtiens en labo par le biais de rituels complexes, nécessitant de larges quantités de chair, de drogues mystiques et d'ectoplasme. Ça se sniffe et ça catapulte dans les mondes astraux. Ça charcute la santé mentale et ça fait des trous dans le cerveau, parfois, mais je peux te dire que ta nebula se tiendra grave à carreaux après un tel traitement de cheval. Artisanal mais redoutable !

C'est un putain de miracle de tomber sur LE R peu de temps après s'être fait tripoté par la Brume, oh que oui. Car je peux t'apprendre à transformer ton enfer en paradis.

« Tu es aujourd'hui à la frontière entre le monde réel et le monde occulte
Je te recommande de franchir le pas et d'accepter entièrement ta nouvelle nature
Tu n'es plus un humain ! Tu es davantage et différent désormais »


Je te laisse un peu dans tes pensées. Ça carbure sec dans cette petite tête. Ce mec pense, il pense trop, c'est pour ça qu'il va se faire bouffer. L'intuition est capitale. Faut se laisser embarquer par le flow. Faut se jeter à l'eau et pas avoir peur du choc.

Ses compagnons, ils commencent à se sentir chez eux. Tous ont l'air de plus en plus heureux, les regards inquiets et perturbés se sont dissipés. Ils planent à mille lieux au-dessus de tout les problèmes qu'ils avaient en arrivant ici. Certains se sont même lancés sur le dancefloor, improvisent quelques déhanchements en compagnie de mes zouaves d'amour. La musique s'est faite plus étrange, mon orchestre s'est lancé dans des compositions plus inhumaines, plus propres aux sons que l'on peut entendre au fin fond de la Brume lorsqu'on y tend l'oreille.

Je sais que tu es toujours inquiet et méfiant à mon égard, alors je décide qu'il est nécessaire de tenter une expérience, dangereuse autant que palpitante. J'attrape une bouteille de vin bleu sur la table, puis je m'en sers une choppe entière. Je verse un fond dans un petit verre, quelques millilitres à l'air bien inoffensifs. Je lui tend, en déformant ma bouche en un vaste sourire rempli de dents !

« Ça c'est du vin bleu. Joli, très joli arôme. Fruité et explosif !
C'est délicieux, ça se produit avec des raisins cueillis dans les régions envahies par la Brume.
Goûte donc, ça va te faire crever de bonheur »


Je lui laisse la surprise de découvrir les effets exotiques que ce breuvage a sur les portebrumes. Quand ça coulera dans son estomac, sa nebula va se réveiller, elle va se sentir comme en boîte de nuit dans son corps. Sa nebula aura envie de faire la fiesta, ça va faire BOUM-BOUM dans son âme !

Ça va te forcer à affronter cette chose avant qu'elle ne te consume.

Et cette expérience serait une ravissante façon de parfaire cette jolie nuit !