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Les rouages du temps

Les rouages du temps Brandw10
Lun 28 Aoû - 18:27

Les rouages du temps

Avec Poppy Cox



Epistopoli … Depuis combien de temps n’avait-il pas remis les pieds dans sa ville natale ? Des jours, oh que oui. Des semaines même. Non. Des mois. Oui, des mois qu’il avait quitté le berceau natal pour fuir les regards lourds de ceux qui avaient été ses “frères d’arme”, le regard réprobateur de son père, celui inquiet de sa mère. Le seul regard qui aurait pu le faire rester, celui attristé de sa jumelle. Et pourtant, il était parti.
Oui, parti dans l’espoir d’en apprendre plus sur la Brume, sur celle qui l’habitait. Affirmer ses hypothèses, ou au contraire, découvrir qu’il se trompait. Il avait quitté l’organisation militaire, l’endoctrinement Epistote, pour trouver la neutralité dont se définissait la guilde des aventuriers de la fameuse Alliance. Il avait découvert du pays et surtout, des personnes. Cela avait été un crève-cœur de quitter Elizawelle. Il lui avait proposé de se joindre à lui, mais sa place était à Opale. Il ne pouvait l’y obliger, comme elle n’avait pu le résoudre à rester auprès d’elle.

Pourquoi partir alors ? Enfin, revenir. Pour celle qui l’a toujours soutenu, celle qui lui demandait de l’aide à présent. Lyana, sa sœur aînée de quelques minutes. Prune avait besoin de son avis de médecin, en allait de la réputation de l’entreprise ORI. Elle n’avait pas voulu déranger l’ancien militaire, Lyana, elle, ne s’était pas gênée. N’avait-il pas toujours été d’une impartialité à toute épreuve ? Et puis, bien qu’elle ne lui avait pas dit, son jumeau, cette moitié avec qui elle avait partagé croissance et enfance, tantôt confident, tantôt fautif de ses bêtises d’enfant, oui, ce jumeau là lui manquait. Ne pas avoir de ses nouvelles avait fini par rendre sa bonne humeur quotidienne maussade. Quel meilleur prétexte que celui d’aider leur protégée ?

Et il était là, dans l’appartement de sa frangine, méditant son passé. L’arrivée sur Epistpoli avait été un choc. Cette ambiance tamisée en permanence, ce nuage de poussières irritantes entourant la ville. Il avait vécu dans ça, vraiment ? La pollution à laquelle il n’était plus habitué l’avait pris à la gorge, il avait l’impression de suffoquer. Il était là, oisivement installé dans le salon de Lyana, seul, à se torturer l’esprit. Assis sur le fauteuil, il caressait machinalement son cristal d’hypermnésie, son passé revenant à la surface par bribe de l’incident qui lui avait ôté son membre.

Il fait sombre dans la rue, il fait sombre dans la Basse-Ville. Mes pas résonnent sur les pavés humides du quartier. Une mère vient de perdre son enfant, je n’ai rien pu faire face à la maladie de son jeune fils ouvrier. Le deuil est lourd à annoncer, plus encore à porter. Je marche sur le linceul qui recouvre les bas quartiers. D’où je viens, les quartiers riches, on se chamaille pour savoir qui sera le prochain Ingénieur, le prochain Capitaine, le prochain Directeur … Ici on se bat pour une miche de pain. Epistopoli, Capitale du Savoir avec un grand “S”. Epistopoli, mégalopole de la Survie avec un grand “S”. Une réalité qui échappe à nos dirigeants. C’est dans cette humeur lugubre que je traverse les piteuses rues pour rentrer “là-haut”, chez moi. Il fait sombre, mon esprit s’enfonce, je n’entends pas les pas derrière moi. Je suis quelqu’un de bien après tout, je viens aider comme je peux les plus démunis, offrant mes soins au plus miséreux, pourquoi se méfier ? Que j’étais sot de me croire invulnérable de par mon “altruisme”. Le coup à la nuque me fait trébucher mais ne suffit pas à m'assommer. Je me retourne mais seuls des visages emmitouflés me font face. Je sors mon arme, ils ne bougent plus. Je tire au sol pour les faire déguerpir, ils rient. Alors ils se jettent sur moi. Cette fois je vise une cuisse, le coup retentit une nouvelle fois, m’assourdissant un peu plus encore, un corps s’effondre. Mes agresseurs me frappent, ils me détroussent, ils se vengent de leur misérable vie, ils se vengent de leur ami se lamentant sur les pavés sales de leur rue, j’en ai blessé un, je les ai tous heurtés. Oeil pour oeil, dent pour dent … Jambe pour jambe.

Lewën reprit sa respiration, lâchant son cristal. Le souvenir flou de cette journée funeste s’estompa lentement, lui laissant un arrière goût âcre. Oppressé par son souvenir, il avait besoin de se dégourdir les jambes et l’esprit. Autant tester cette nouvelle prothèse que lui avait confectionné la jeune prodige en échange de son service. Une jambe de titane robuste et légère emboîtée dans un manchon en cuire pour une sensation non douloureuse au niveau du moignon. Une pied aux articulations manuelles qui lui donnait une nouvelle propulsion. Il pouvait y attacher une chaussure, il ne serait plus aussi claudiquant qu’avant. Merci Prune pour ce cadeau. Pas de prothèse biomécanique pour sa nature, la Nebula ne l’avait pas supporté.  

Dehors, l’air était chargé. Lewën avait troqué sa tenue de ville habituelle contre celle, plus discrète, de sa tenue de corbeau. Masque en moins. Se revêtir du manteau sombre pour se couler là où la misère l’avait estropiée. Ce n’était pas comme s’il allait y retrouver son membre perdu, non, il avait besoin de savoir, besoin de voir par lui-même ce que devenait ce peuple oublié par son Régent. Cette fois il était aguerri, il serait sur le qui-vive. Ses cristaux comme garants de sa sécurité. Ses cristaux comme source de convoitise aussi. Dissimulés à l’abri des regards, trois dans une dimension de poche créée par le cristal arcanique, lui-même dissimulé dans une poche cachée facile d’accès. Le cristal d’hypervélocité maintenu à même la peau par une ceinture dérobée des regards, sous les tissus de sa tenue. Ce n’était pas sans une certaine appréhension qu’il quitta “son monde” pour redécouvrir celui de l'oublier. Ombre parmi les ombres, Lewën marchait dans une direction bien précise, un chemin qu’il avait emprunté pour faire ses adieux à Samphira qu’il n’avait pu soigner du mal qui rongeait son pays : le “Savoir”.

Mer 30 Aoû - 23:06

Les rouages du temps

ft Lewën


« Basse-Ville d'Epistolopi et Flashback »MUSIQUE :


« Il est mort ? »
Il y a un silence. Long, plus de d’habitude. Son père est accroupi devant la forme étendue, comme la mort en personne, la grande faucheuse, qui décide s’il est temps, ou non.

« Papa ?
Pas encore. » Poppy finit par s’approcher, parce qu’il y a quelque chose d’étrange dans la voix de son père.
« Nous devrions le ramener au labo avant qu’il ne soit trop tard ? Il est dans un sale état… » Elle s'accroupit à son tour, s’approche pour passer un bras sous ses épaules – un geste mécanique, qu’elle a déjà fait mille fois. La vue du sang, des os écrasés et de la chair déchirée ne la font pas s’émouvoir.
« Ne le touche pas ! » Et Poppy fronce les sourcils, quand l’injonction de son père vient la mordre avec une autorité qu’elle ne lui connaît pas. « Il va crever si nous ne faisons pas quelque chose ! » proteste-t-elle, dans une parfaite incompréhension. Quelque chose cloche. Ce n’est pas le genre de son père, de laisser un homme à moitié mort dans la boue et la merde. Non, son père avait une morale questionnable sur un bon nombre de sujets, mais il y voyait là une opportunité perdue. « Tu le connais ? » finit-elle par questionner, avant de s’attarder sur les traits de la victime. Elle ne l’a jamais vu. Ou bien… Peut-être que… La blonde cherche dans ses souvenirs et elle a l’impression que quelque chose d’immense glisse sous la surface de sa mémoire.

« C’est le gamin des Digo.
Oh… » Et tout à coup, ça lui revient.

Tout à coup, elle se retrouve, à 11 ans, dans cette grande salle de réception, au milieu des gradés militaires, tous, des collègues de son père. Il le regarde comme un banc de requins autour d’une baleine déjà blessée. Et elle se souvient de la flamme, affamée de justice, qui brûle en elle à cet instant. Mais Poppy a 11 ans, et on ne la remarque même pas. Elle se renfrogne, toute seule, dans son coin, jusqu’à qu’un garçon du même âge s’approche. Lui, il l’a remarqué. A-t-il senti le feu de colère qui grandissait en elle ?

« Il faut que nous l’aidions. » Finit-elle par décider. Elle se met à faire les gros yeux à son père, l’intimant de l’aider. Quand il la voit, comme ça, ferme et décidée, il a l’impression de voir sa mère, sa petite femme, celle qu’il a perdu quand elle est née. « Papa ! » s’exclame-t-elle, et enfin, il s’exécute.

Et trois ombres s’éloignent, discrètes et silencieuses, dans l’obscurité de la basse-ville ; on sait où elles se dirigent, mais rares sont ceux qui sont encore debout à cette heure de la nuit. Et ceux qui le sont, ont bien d’autres chats à fouetter.



(...)


« T’as vraiment pas appris ta leçon, toi. »

Poppy se tient dans son dos, un long manteau sombre sous lequel elle cache sa silhouette. Dans ses bras, elle tient un sac en papier, duquel déborde quelques pommes mal lavées. C’était une après-midi des plus classiques. Une durant laquelle elle avait prévu de faire quelques provisions avant de retourner s’enfermer chez elle, et faire comme si le reste du monde n’existait pas.

Mais il a fallu qu’elle tombe sur lui. Il fallait dire qu'il n'était pas vraiment discret : un bourgeois dans la basse-ville, c’était comme un gros nez en plein milieu de la figure. Elle secoue doucement la tête de gauche à droite, pour manifester sa désapprobation, sans le quitter du regard. Un regard froid, qui accuse, celui d’une mère, qui condamne. Puis, ses yeux coulent sur sa prothèse. Aucun commentaire. Elle n’a pas besoin d’en faire. Évidemment, il avait pu se payer les meilleurs ingénieurs de la cité des Sciences, et la crème de la crème de ce qu’on savait faire aujourd’hui. Qu’il lui semble prétentieux, avec ses grands airs et ses belles manières, et sa belle jambe en titan robuste, dont elle aperçoit un morceau brillant à sa cheville. Elle note qu’il avait changé, un peu. Il a perdu en couleur. Mais il reste le même : un snobinard, gosse de riches.

« Qu’est-ce que tu fiches là ? La dernière fois n’a pas suffi à te faire comprendre que tu n’avais pas ta place ici ? » Ses mots sont durs, tranchants comme l’acier. Elle sait qu'au fond, il ne le mérite pas vraiment. Mais c’est plus fort qu’elle – après tout, elle est humaine, et il lui faut un moyen de soulager sa peine. Et qui de mieux que ce qui ont tout ce qu’elle n’a pas ? Poppy se complaît dans sa haine, injustement, elle le sait, et ça l’enrage davantage. Tout autour d’eux ce n’est que boue et misère : on marche dans la pisse et les crachats, et des mendiants – maigres comme des jours de carême – vous tire les manches en vous suppliant. Ça, c’est s’ils se décident pas à vous faire les poches. Pire, à vous attendre dans un coin d’une ruelle sombre pour vous prendre la vie et, par la même occasion, les quelques piécettes que vous possédait peut-être sur vous. Car ici, un billet vaut plus qu’une vie.

« Je te conseille de retourner d’où tu viens, Lewën. Personne ne veut de ton aide. » Elle resserre son étreinte sur son sac et s’apprête à faire volte-face – parler avec un de la haute-ville est très mal vu, ici. « De toute façon, il va bientôt se mettre à pleuvoir, » elle n’est pas certaine de pourquoi elle ajoute cette espèce de banalité toute fabriquée. Peut-être que la petite fille de 11 ans, qui sommeille encore au fond d’elle, se souvient de la chaleur réconfortante de quelqu’un qui la remarque quand elle crève d’être vue et entendue.
Quelque chose au fond de sa gorge se noue. Parce qu'elle n'a plus 11 ans, et que Lewën n'est plus uniquement le souvenir d'un gamin.
C'est aussi un tout autre souvenir, qu'elle essaie de tasser bien au fond.
Jeu 7 Sep - 22:07

Les rouages du temps

Avec Poppy Cox



Elle s'était glissée derrière lui sans un bruit avec une facilité déconcertante. Aguerri s'était-il dit. Elle aurait tout aussi bien pu l'agresser qu'il n'aurait rien pu faire. Il fit volte face au premier mot, la main sur son arme, répétant la même erreur, pourtant … pourtant cette fois seuls les mots l'agressaient, l'accusaient.
Elle était acerbe, lui rappelant le souvenir de sa mésaventure. Comment savait-elle ? Qui était-elle ? Il était tendu, ne bougeant plus d'un milimètre, son visage figeait dans un masque impartial et froid. Il ne dit rien, laissant l'amertume de cette femme se déverser quand bien même le trop plein de cette misérable vie ne pourrait l'amenuiser.

Il y avait chez elle quelque chose qui remuait les souvenirs du médecin. Il y avait derrière ce regard dur une étincelle de justice qu'il lui semblait reconnaître.

- Je te conseille de retourner d’où tu viens, Lewën.
Un soubresaut de surprise à l'entente de son prénom brisa son masque immuable quelques secondes avant qu'il ne se figea à nouveau de cette neutralité dont il s'imposait.
Elle le connaissait, mais lui aussi. Elle avait bien changé depuis son souvenir.

- Poppy Cox … souffla-t-il.

Pas besoin du cristal pour se rappeler ce regard fiévreux qui le dévisageait. Ses joues s'étaient creusées, bien sûr elle avait bien grandi. Poppy était loin de l'enfant qu'il était venu soutenir il y a dix-sept ans de ça. Sa voix avait pris un grain tranchant.

***

- ... Et nous sommes fiers de notre Nation et des avancées que nos équipes ont permises. Les explorations militaires n'en sont qu'aux prémices de leurs découvertes, aujourd'hui Epistopoli vous remercie pour vos implications.

La foule applaudit, acclama le général. Des Cristaux avaient été découverts en nombre lors d'une expédition, les soldats y avaient laissé beaucoup pour les ramener sur le territoire Epistote. Un cérémonial avait été organisé par l'armée, invitant les familles des dirigeants et des recrues revenues de la campagne meurtrière. Une célébration plus qu'un hommage sur la puissance de la faction.

Les félicitations s'échangèrent, les coupes de champagne aussi. Le mot fierté revenait sur toutes les bouches, l'ambiance d'abord collégiale devenait détendue, un peu trop. Les rires s'engaillardirent et bientôt un éclat de voix. Puis deux, puis une insurrection … Un homme fut pris à parti, Lewën n'avait pas suivi de quoi il en retournait mais vit la petite fille qui se tenait là, près du gradé qui se faisait incendié. Un mélange de peur, de colère, d'incompréhension dans le regard. Il s'en approcha, posa une main sur son épaule.

- Il ne sont pas toujours très malins, souffla le jeune Lewën, ne t'inquiète pas, demain ils auront oublié. Tenta-t-il de rassurer.

Mais la friction continua, et le Docteur Cox fut éconduit de la salle. On ne lui laissa même pas récupérer sa fille, il fut bousculé jusqu'à la porte de sortie. Ils n'avaient pas à s'emporter, tous autant qu'ils furent. Lewën attrapa la main de la jeune fille pour l'aider à retrouver son père dans l'enceinte militaire.

- Viens suis-moi.

Ils étaient presque sortis lorsque le Commandant Digo leur barra la porte.

- Lewën qu'est-ce que tu fais. Lâche la.
- Mais son père…
- Son père est un sot borné qui n'avait qu'à bien se tenir. le coupa-t-il.
Le jeune brun sentit la main se serrer dans la sienne.
- Elle n'y est pour rien !

Jamais il n'avait tenu tête à son paternel ainsi, une gifle lui répondit. Le Commandant n'avait pas pour habitude que l'on discute ses ordres, encore moins devant sa hiérarchie. Il fallait faire bonne figure, quelle image renverrait-il s'il ne contrôlait pas les membres de sa famille ?
Ce fut la première fois et la seule fois que Lewën désobéi à son père, prenant la fuite avec celle qui se présenta comme Poppy Cox d'une voix fluette. Ils retrouvèrent le père de l'enfant accompagné de soldats dans les couloirs, réclamant sa fille.
Ils se quittèrent aussi sec, Lewën retrouvant la salle de cérémonie où les indignations et rumeurs allaient bon train. Une rouste mémorable l'y attendait …


***

C'était sa première rencontre avec celle qui deviendrait la mécanicienne des bas-fonds. Il ne se souvenait pas de la seconde, et pourtant, ce fut grâce à elle qu'il pouvait prendre le risque de marcher à nouveau sur les pavés malfamés de la ville à ce jour.

Elle le blâmait pour ce qu'il n'avait pas choisi d'être. Il avait conscience de la chance qu'il avait, pas besoin de le lui reprocher.
Alors qu'elle lui tournait le dos il ne put s'empêcher de la provoquer :

- Personne ne veut de mon aide dis-tu… très bien. Ne vas pas dire après qu'on ne s'intéresse pas à ce qu'il se trame ici et que vous n'êtes que des laissés pour compte.

Ils l'étaient, et il savait que tenir ce genre de propos à cet instant était dangereux mais l'orgueil avait pris le dessus. Il activa son cristal d'hypervélocité par précaution sans en faire encore usage.
Une goutte s'écrasa sur son visage.

- Je suppose que tu ne vas pas m'offrir l'hospice ?

Lun 13 Nov - 18:13

Les rouages du temps

ft Lewën


« Basse-Ville d'Epistolopi et Flashback »MUSIQUE :


La mécanicienne le gratifia d'un regard sceptique. Fallait lui accorder qu'il avait au minima les tripes de revenir se balader dans le coin, après ce qui lui était arrivé. C'était pas trop mal, pour un gosse de riches. Et ça lui fait reconsidérer l'opinion qu'elle se faisait de lui, l'espace d'un instant. Il était bravette, certes, mais n'en restait pas moins parfaitement inconscient. Elle le revoyait, sa bouille toute ronde de gamin bien élevé, qui s'était prise une rouste juste pour l'aider, et elle n'eut pas le cœur à l'envoyer chier.

« Poppy Cox... Il lui a fallu une petite seconde pour remettre son visage, Poppy l'a deviné.
En personne, » se sent-elle obligée de préciser, tandis que ses sourcils se froncent. Quelque chose lui échappe.

« Tu te souviens de mon nom, j'suis flattée. » Elle le dit sans grande conviction, et ses mots cachent les soupçons qui la taraudent. De quoi d'autre te souviens-tu Lewën ? Et surtout, de quoi tu ne te souviens pas ? La blondinette renifla avec l'indignation aigrie d'un vieillard dérangé durant sa sieste, mais la curiosité fini pourtant par prendre le pas sur ses principes. Poppy, c'était une vieille bonne femme avant l'âge. Elle était faite d'un bois différent, autrement plus consistant que celui de la minette choyée des beaux quartiers.

Puis fallait bien lui accorder, c'est qu'au fond, il avait un peu raison cet âne bâté.

« Tu m'as prise pour mère Thérésa ? » Elle râlait pour la forme, et ça se voyait. « Allez, range moi ce truc, » grogna-t-elle en coulant un regard vers le cristal qui brillait dans sa paume, « viens. » Elle accompagna l'injonction d'un petit geste du menton et s'enfonça dans les ruelles de la ville, sans prendre le temps de s'assurer qu'il la suivait.

Sur le chemin, la blonde n'avait pas pipé un seul mot. C'est dans un silence incommodant qu'elle l'avait conduit jusqu'à l'entrée d'un petit appartement parfaitement ordinaire pour le quartier. Rien de glorieux. Les clés avaient tintées entre ses doigts, et la porte s'était ouverte sur un salon minuscule, terriblement banal, si bien que ça rendait le lieu un peu affligeant. Les rideaux avaient perdu de leur couleur avec le temps, et il n'y avait pas une chaise identique autour de la table à manger en bois sombre. C'était propre. La déco datait, mais on pouvait deviner que la personne qui l'avait choisi l'avait fait avec soin. Qu'elle avait voulu faire du lieu une maison. Une vraie. Il y a longtemps, c'était une petite famille - un père à l'esprit aiguisé, une mère aimante, et une gamine éveillée - qui s'était retrouvée pour partager un repas autour de cette vieille table.

Maintenant, Poppy était seule.

Quelques objets métalliques - le genre qui avait davantage leur place dans un atelier de mécanicien - venaient jurer avec le mobilier vieillot. Il y en avait un peu partout, sur la table, par terre, ou au-dessus des piles de livres qui croulaient entre le canapé et la commode. La blonde retira sa veste trempée pour venir le pendre au porte-manteau. C'était une drôle de chose de voir la mécano, avec ses vêtements tâchés de suie et son air revanchard, venir vous servir un petit thé à la bergamote dans un joli service à fleurs. Il y avait quelque chose touchant dans la scène.

« Compte pas sur moi pour te taper dans l'dos en te disant que c'est vachement bien ce que tu veux faire. » Elle versa une tasse à son invité, lui faisant mine de s'asseoir. « D'ailleurs, c'est quoi que tu veux ? Qu'est-ce que tu penses accomplir en venant ici ? » On le voyait, qu'elle avait encore envie de croire à un futur meilleur - pour elle et pas que - mais Poppy n'était pas suffisamment bête pour confondre Lewën avec le Messie d'Epistopoli. « Un sucre ? » Enchaîna-t-elle très naturellement, avant de s'installer en face de lui.

« Alors 'faut que je t’appelle "Docteur" maintenant ? » demanda la petite blonde en soufflant sur la fumée qui s'échappait de sa propre tasse. Ils ne s'étaient pas rencontrés bien souvent. Deux fois, pour être tout à fait exact. La première fois lorsqu'ils étaient encore gamins, la seconde, il y a quelques années et cette fois-ci avait bien failli être la dernière, si elle et son père l'avaient trouvé quelques minutes plus tard.

« Les rumeurs vont de bon train. » Expliqua-t-elle en réchauffant ses mains autour de sa petite tasse fleurie. « Surtout dans la basse-ville, parce que quand on n'a pas de boulot, ben les gens se retrouvent à faire les commères au bar du coin. C'est un peu une loi fondamentale chez les prolos : on y va pour cracher notre venin sur les gens d'la Haute, sur tout ceux qui ont plus, tout ceux qui ont mieux. On se plaint puis on se conforte en regardant les autres, en se disant qu'on n'est pas les seuls à être dans la merde, qu'y a pire que nous. Ça fait du bien, il parait. Moi, c’est le genre de singeries humaines qui me font marrer. J’aime bien. C’est un peu comme si on avait tous décidé silencieusement de signer un pacte commun de mépris contre le reste de l’humanité. Ça nous rapproche. »

Un léger courant d'air s'échappa du fond de la pièce. Un encadrement sombre, caché par un rideau de perles en bois, se dessinait derrière les épaules de la blondinette. Il y avait quelque chose d'étrange qui s'en dégageait, quelque chose de mystérieux, quelque chose que Poppy se tenait bien d'ignorer.

Quelque chose qui rappellerait peut-être quelques souvenirs lointains à Lewën.
Il y avait clairement beaucoup trop de quelques choses dans cette histoire, pleins de trucs sur lequel elle arrivait pas à mettre le doigt, qui lui échappait, et ça lui plaisait pas trop. Va falloir qu'on éclaircisse tout ça, Lewën, pas vrai ?
Ven 24 Nov - 15:59

Les rouages du temps

Avec Poppy Cox



Lewën suivit sa guide dans ce lourd silence qui s’était installé. Les pavés, autrefois parfaitement alignés, souffraient des affres du temps et surtout, de la misère. Tantôt cassés, tantôt manquant, toujours souillés … Les maisons - si on pouvait appeler ces logements des maisons - étaient écrasées entre deux boutiques de bric et de broc.

Quelque chose de familier rôdait dans la périphérie de son esprit, pourtant aucun des commerces ne lui disait quoi que ce soit. Ce n’était guère étonnant, les souks allaient bon train dans la basse-ville, on ouvrait une enseigne qui laissait sa place à une autre faute d’argent pour la maintenir à flot. Ou pillait si le gain en était trop alléchant … La population survivait … Était-ce une vie de survivre ?

Il passa le palier, attendant que son hôte l’invite à s’installer comme la politesse dont il était tant affublée l’exigeait. Devant le piqué qui trônait dans la petite pièce de vie Poppy fit un signe de tête pour qu’il la rejoigne sur la petite table aux chaises dépareillées. Un thé n’était pas de refus, un service qui jurait avec les outils qui traînaient ici et là.

- Alors 'faut que je t’appelle "Docteur" maintenant ?

Il fronça les sourcils, comment pouvait-elle savoir ? Attentive aux réactions de son interlocuteur Poppy se justifia d’une histoire qui se voulait accablante.

- Je ne pensais pas être connu dans le monde des rancoeurs, c’est de bonne guerre.

Derrière la jeune femme un souffle agita un rideau dont les perles de bois, s’entrechoquant, résonnèrent platement. Il avait déjà entendu ce bruit, mais où ? Quelque chose le travaillait depuis qu’il était entré ici. Il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus et cela le frustrait. Habitué à porter son masque immuable, il n’en laissait rien paraître, il remarqua le regard de Poppy, intense, qui scannait le moindre mouvement, le moindre frémissement de son visage.
Il se leva échappant à cette scrutation pour se diriger vers la porte dérobée, caressant d’une main le bois du rideau.

La fièvre montait, la douleur avec … Le souffle devenait saccadé alors qu’une larme perdue s’échappait du coin de son œil. Les perles de bois s’agrippèrent à son bras, un fil céda sur lui alors que l’ombre l’avalait.

L’homme leva le regard, sur la gauche, une ligne de perles manquait. Ce souvenir haché lui appartenait, à lui. Comment ? Il n’était jamais venu ici, si ?

Se retournant sur celle qui l'accueillait, il ne manqua pas de tomber sur le regard fiévreux de Poppy.

- Je suis déjà venu ici. Annonça-t-il implacablement sans s’en souvenir.

Une colère sourde naquit dans le creux de son ventre, une incompréhension qui surgissait du néant. Avez-vous déjà subi un black-out ? Se retrouver à un point B alors que votre dernier souvenir subsiste au point A. Comment ? Pourquoi ? Qui ? Quand ?! Tant de questions qui se bousculaient soudainement dans l’esprit hermétique aux lacunes du médecin.
Il se planta devant Poppy, un fourmillement dans son moignon le démangeait. La nouvelle prothèse ? Le cerveau, chef d’orchestre de notre organisme, siège de notre conscience, notre intelligence, nos émotions, pensées, perceptions,  de notre mémoire. Cette même mémoire qui faisait défaut à l’épistote, essayant de se rappeler à lui, encore fallait-il qu’il accepte une douloureuse réalité dont son corps se trouvait meurtri.

- Pourquoi je ne me souviens pas être venu ici ? Accusa-t-il la mécanicienne, se rappelant les commérages sur son père et les expériences qualifiées d’immorales qu’il pratiquait … Ici ? Derrière ce rideau ? Il y a quoi derrière cette porte ? Montra-t-il d’un doigt rigide, prêt à l’ouvrir s’il le fallait pour obtenir ses réponses.
Mer 6 Déc - 15:16

Les rouages du temps

ft Lewën


Poppy darda ses yeux sur Lewën. Quelque chose ne tournait pas rond chez ce type. Etait-ce les effets de la Brume, des changements qu'elle avait constaté chez le jeune médecin, ou bien simule-t-il juste l'amnésie ? Il lui semble que parfois, derrière ses yeux gris, se joue une pièce lointaine, des souvenirs qui remontent sans qu'il ne parvienne réellement à les saisir. Il lui échappe, à lui, et le mal qui le ronge lui échappe, à elle. Ça semble épais, écrasant, pareil à un gouffre.

Et ses interrogations se transforme en colère. En accusations. Il est affamé de réponses. Poppy se renfrogne et croise ses bras sur sa poitrine.

« Fais gaffe à ce que tu sous-entends, Lewën. Me fais pas regretter de t'avoir emmené ici. » Elle plante ses yeux dans ceux de son camarade, pour signifier qu'elle est prête à la confrontation. Y'a qu'moi qui ai le droit de cracher sur l'travail de mon con de père, okay ? Tu peux t'foutre tes accusations là où j'pense. Elle le sonde, plus longuement, avant de secouer la tête de droite à gauche. Ses mèches blondes s'échappent de son vieux foulard qu'elle retire comme s'il était désormais superflu, pour le poser sur la table à côté de sa tasse de thé qui refroidit. « Qu'est-ce qui t'es arrivé bon sang ? » La question flotte un instant au-dessus d'eux sans qu'il ne la saisisse. La mécanicienne pousse un long soupir.

Les pieds de sa chaise grincent sur le parquet quand elle la repousse et qu'elle se lève, se résignant finalement à répondre à ses questions. Elle se dirige à son tour vers l'arrière-pièce, et les perles du rideau chantent lorsqu'elle y glisse ses doigts. Un regard en arrière jeté à Lewën, l'air de dire : eh bien ? tu viens ? c'est ce que tu voulais, non ? D'un geste du menton, elle l'invite à entrer en premier et s'engouffre à sa suite.

La pièce est plongée dans l'obscurité. Poppy enclenche le disjoncteur et, dans un fracas électrique, les lumières des lampes halogènes pulsent avant d'éclairer franchement l'ancien atelier du père Cox. Les gestes lui reviennent comme une évidence. Depuis combien de temps n'a-t-elle pas mis les pieds ici ? Elle s'approche du bureau à sa gauche, et referme un vieux journal – intime – abandonné dans lequel certaines lignes avaient été raturés – par elle – ou effacées – par le temps. De la poussière s'en échappe, et valse autour d'eux quelques instants. « Ben alors ? Fais pas cette tête. Tu t'souviens vraiment de rien ? » Elle s'adosse au bureau, et cette fois-ci, on lit la préoccupation qui s'immisce dans son regard.

La blonde ne pipe pas un mot, tandis que Lewën déambule dans la petite pièce. Ça sentait comme l’hôpital, un shoot d’éther et de Javel, mélangé à l'odeur d'huiles à engrenages. À vous mettre le blues et la gerbe pour le reste de la journée. Le spectacle était un peu sordide. Alors évidemment, c'était difficile de lui en vouloir réellement ; il s'était passé ici des choses que même Poppy aurait préféré oublier. La folie de son père et son obsession n'avait connu que peu de limites. Mais jamais il n'avait travaillé de la sorte sur quelqu'un qui ne l'avait pas demandé. Ses patients, ses victimes, n'avaient jamais eu d'autres choix. Et il leur avait offert de l'espoir dans leurs moments les plus bas. Quand le jeune médecin arrive à sa hauteur, elle finit par s'approcher.

D'un geste tranquille, ses doigts se faufilent sur son menton, qu'elle attrape doucement pour mieux l'observer dans chacun de ses détails. Elle l’ausculte à sa manière, le regardant au fond des yeux. « Il y a un boulon pas bien serré chez toi, pas vrai ? » Ses sourcils se froncent, et son attention se porte sur la couleur de ses cheveux, et son teint, blafard, et elle se demande si la Brume lui a aussi volé ses souvenirs. « Vas-y. Demande-moi ce que tu veux savoir. Je n'ai rien à te cacher. » Après tout, elle ne l'avait pas empêché de venir ici. Sa curiosité revient à la charge presque immédiatement. « Puis ensuite, tu me raconteras ce qui t'est arrivé. Il est loin le gamin dont je me souviens. »
Ven 22 Déc - 16:11

Les rouages du temps

Avec Poppy Cox



- Ben alors ? Fais pas cette tête. Tu t'souviens vraiment de rien ?

Ses rouages tournaient plein pot, les réminiscences d’un passé oublié ne demandaient qu’à ressurgir pourtant … Pourtant le vide accueillit cette question. Où se cachent-ils ces souvenirs ?

Lewën suivit la mécanicienne dans l’espace aux odeurs médicalement mécaniques. Oui, ces odeurs … Elles chatouillaient son esprit pour se rappeler à lui, étaient-elles le souvenir de ses propres opérations ou celle qu’il aurait … subi ?
Sa main glissa sur la table au milieu de cette pièce laissant un long sillage dans la poussière qui s’était accumulée. Les fourmillements de son moignon s’accentuèrent, son corps lui criait sa douleur passée mais son esprit refusait de l’entendre.

Ses yeux se posèrent sur chaque fiole, chaque instrument qui avait, jadis, découpé, cautérisé, suturé, clampé, remplacé la chair humaine. Dr Cox était un médecin qui avait dépassé les serments de la profession pour faire des humains une race améliorée. A quel prix ?

Poppy le stoppa dans son maëlstrom encéphale prête à stopper la tempête qui faisait rage dans la mémoire de l’homme.

- Vas-y. Demande-moi ce que tu veux savoir. Je n'ai rien à te cacher.

Il resta quelques instants silencieux mis à profit par la mécanicienne pour réclamer l’histoire du gamin devenu étranger à ses yeux. Une boule noua la gorge du médecin qui dut se racler la gorge pour pouvoir poser sa question.

- Qu’est-ce qu’il m’est arrivé … Ici ?

Alors Poppy lui raconta, son corps laissait dans un coin de rue, le sang s’écoulant sur les pavés à la place d’une jambe manquante. “Ils m’ont pris à parti,” souffla Lewën se souvenant parfaitement de l’agression. Mais après ? Les mots de la jeune femme coulèrent sur ses souvenirs qui agrémentait le récit d’images confuses avant de devenir de plus en plus précises. Son père et elle avaient traîné Lewën jusqu’ici, jusqu’à cette table … Il se retourna pour observer l’autel des expériences illégales du propriétaire des lieux. Oui, la douleur était insoutenable, Poppy lui avait glissé un morceau de cuir à mordre tandis que son père nettoyait la chair déchiquetée du jeune militaire. Puis vint l’éther qui endormit son esprit. Poppy combla les lacunes, chaque geste qu’ils avaient fait, chaque décision qu’ils avaient dû prendre pour sauver le jeune homme. Et la plus difficile : sacrifier le membre trop meurtri pour être soigné.

Lewën s’appuya contre le bureau, le regard perdu vers ses souvenirs éthérés. Il tourna le visage vers celle qui avait réellement tout perdu.

- Vous m’avez sauvé … souffla-t-il.

Le visage de Poppy se transforma l’espace d’un instant avant de retrouver toute sa conviction. Elle le soutint du regard avant de le faire sortir de cette pièce où les souvenirs devaient lui être bien plus douloureux qu’à lui.

La porte se referma, les perles de bois tintèrent mettant un terme aux supplices de l’un mais surtout de l’autre. Car derrière son masque de lassitude, nul doute que le cœur de la blonde souffrait de ce même passé qui les avait éloignés.
Ils se réinstallèrent autour de la petite table de la cuisine dans un silence qui perdura quelques minutes avant que Lewën ne finisse par le briser.

- Samphira … Elle habitait les bas-fonds elle aussi. annonça-t-il comme si Poppy connaissait la femme. C’était notre gouvernante. Oui, ce simple mot rappelle le fossé entre leur classe sociale. Elle était une deuxième mère pour nous, peut-être celle qui s’intéressait réellement à nous d’ailleurs. Un simple constat, Lewën était pragmatique et ne jouait pas de la corde sensible à laquelle Poppy resterait indéniablement insensible. Je venais lui rendre visite lors de mes permissions, c’est là que je me suis rendu compte des conditions de vie de notre peuple. L’on croirait entendre un parfait patriote. Il tut la mort de cette mère prévenante. J’ai voulu le dénoncer, on m’a envoyé loin d’Epistopoli. Alors j’ai connu la Brume et à force de la côtoyer elle m’a adopté, opérant quelques changements sur moi. Une mèche retomba sur son front comme pour appuyer son propos. Trop visible, ma condition de Portebrume est devenue gênante pour l’image de notre armée et l’on m’a gentiment remercié. Il plongea son regard dans celui de la femme. J’ai oublié ma bataille pour ce quartier pour me concentrer sur les mystères de la Brume. avoua-t-il enfin.

Jusqu’à certaines rencontres, jusqu’à ce qu’il revienne pour sa sœur, jusqu’à ce qu’il remette les pieds ici.