Astrebrume

L'éclat des fenêtres hautes brisa la concentration d’Ellendrine dans un sursaut. Ces petites crapules verdâtres n’étaient si bêtes. Les voilà dardés d’une pluie de flèches, pas très soutenue, mais à rythme constant. Accroupie sous une console, elle se demandait pourquoi tous les guerriers de la région les avaient pris en chasse de manière aussi viscérale, alors qu’ils n’avaient du voir aucun être humain depuis des générations.

-« D’accord, détective. » dit-elle, décontenancée.

Elle avait placé plus d’espoirs qu’elle n’aurait du en ces chaînes d’assemblages, qui ne révélaient aucun atout stratégique pour le combat et dont les consoles clignotaient comme des enseignes publicitaires sans offrir le moindre caractère d’écriture. Qu’elles soient fonctionnelles après tant de siècle d’obsolescence était déjà une prouesse en soit. Les étudier aurait été un privilège. A quoi pouvaient-elles servir ? Peut-être à fabriquer des cristaux d’énergie ou de pouvoirs, si l’on en jugeait par les innombrables cristaux brisés et la sécurité renforcées par les robots. Faut de mieux, elle rangea les cristaux de contrôle dans son sac afin de ne pas les abandonner aux gobelins. La chaîne d’assemblage redevint inerte une fois hors tension.

De l’autre côté du hangar, Farouk et Nostell ont pris abri derrière ce qui devait être la seconde ligne de défense constituée par les machines. La misérables marée s’insinue par une faille dans la portee barricadée, sans parvenir à l’élargir.

-« Retenez-les ! » s’écrie Ellendrine. « Courir comme ils le font est stupide. Nous pouvons les abattre un par un sans coup férir ! »
Farouk fit équipe avec Cora pour dégommer quelques verdâtres en faisant preuve de sang-froid et de sens de la stratégie.

-« Sans doute des milliers, miss Raikes. »

L’archéologue plissait le front en surveillant les fenêtres hautes. Ces cure-dents de petite taille qu’on leur envoyait étaient perfides et feraient de sérieux dégâts. Mine de rien. Avec précaution, elle se hissa à hauteur du gobelin étendus au plus près d’elle et tenta de lire son passé : bienheureuse ivresse de joie à gambader dans les bois en partie de chasse avec ses compagnons. Elle secoua la tête en grimaçant devant ces données insipides qu’elle avait perdu son temps à contacter avant de retourner à couvert.

-« N’abandonnez pas la forteresse tant que nous pouvons tenir. » rugit-elle alors que le petit robot voletait au-dessus d’une grille pour indiquer une issue possible. A ses yeux la retraite devait constituer l’option de l’ultime recours. Une fois le hangar investi par la horde gobeline, ils seraient faits comme des rats dans les conduits vétustes. Elle se souvenait en revanche avoir lu des chroniques d’antiques batailles attribués à un mythe de la civilisation oubliée où une maigre cohorte de soldats avaient tenus en respect toute une légion d’ennemis sur un passage étroit au pied d’une falaise. D’un point de vue stratégique, s’ils conservaient leur calme, ils avaient encore l’avantage. La supériorité du terrain. La supériorité technologique. Une meilleure organisation. Les gobelins ne semblaient compter que sur le nombre.

Farouk admirait les prouesses des deux femmes. Les redoutables guerrières empilaient les  corps avec hardiesse, l’ex-Sentinelle dosant savamment son intervention analysait au mieux la situation en respirant pleinement. Comme elles maintenaient la ligne, il commença à attraper un gobelin à l’agonie par la cheville et tournoya sur lui-même pour le lancer par-dessus les machines sur ses congénères amassés dans le maigre passage. Un couinement planant accompagna cette baliste. Farouk répéta l’opération encore et encore avec les cadavres. Sa mitrailleuse gênait ses mouvements. Il avait été un guerrier dextre autrefois. Pivotant sur son pied, il fit décoller un gobelin en lui assénant un puissant coup horizontal dans le plexus avant de le frapper avec le cadavres qu’il tenait et d’empiler ce dernier sur le monticule qui se formait à l’entrée. Il forçait ainsi les nouveaux arrivant à piétiner sur les mourants, à trébucher sur leurs mini lances érigées avant de tenter une percée.

-« Artemis. Il serait bon de faire à nouveau usage de votre merveilleux contrôle du métal pour esquicher les gobelins. » suggéra-t-il pour faire comprendre aux gobelins qu’ils ne reculeraient pas.

Ce faisant, il para in extremis deux projectiles de bois en levant le cadavre d’un gobelin devant son visage. Il préférait ne pas rester si loin du rempart des machines plus longtemps, afin de s’abriter des flèches et se remit à jouer du doux son de la mitrailleuse.

Cora avait rejoint Ellendrine.
-« Pas vraiment, hélas. J’ai tout désactivé et emporté les cristaux pour ne rien laisser aux gobelins. Je préfère que nous tenions le bastion en leur infligeant un maximum de pertes. Notre stratégie fonctionne et ils sont trop stupides pour économiser leurs troupes. »

Elle haussa le ton car il devenait difficile de se faire entendre, entre les rebonds des flèches de bois sur le sol, les détonations et les grognements criards des gobelins. De son œil, elle avisa les caissons vermoulus.

-« Oubliez le mobilier décomposé. J’ai mieux pour la grille. Je suis d’accord pour préparer notre repli en cas d’urgence. Mais tenons le plus longtemps possible. Et pas question d’abandonner Farouk ou Artemis derrière si le conduit est trop étroit. »

A nouveau, Ellendrine se concentra pour invoquer l’Exerus, dans un parfait exercice de visualisation malgré le chaos ambiant. L’invocation ne pouvait lui en vouloir de l’avoir sacrifié au Décapod pour couvrir leur fuite, comme il n’avait ni souvenir ni substance. Et il se tenait heureusement assez loin de Farouk pour ne pas l’enrayer.

L’immense félin étendit son corps aux huit paires de bras vers la grille et abaissa sa tête cornue pour laisser Ellendrine y grimper comme sur une échelle.
-« Couvrez-moi ! » glissa-t-elle à Cora, tandis que deux fléchettes se fichaient dans le corps soyeux de la noble bête.

L’exerus aurait pu arracher la grille, mais l’archéologue préférait se montrer plus minutieuse. Un ustensile lui permis d’ôter les vis, qui auraient du être rongées par le temps. Mais certains des métaux utilisés dans les alliages antiques semblaient à l’épreuve du temps, comme ceux des consoles. Elle conserva les vis dans sa poche, pour le cas où Artemis pourrait les revisser derrière eux par l’esprit. Une flèche manqua de l’atteindre au visage et se brisa sur la grille. Il s’en était fallu de peu. L’un de ses éclats lui écorcha l’épaule et les vis lui échappèrent.

Le plus vite possible, elle redescendit de l’invocation, grille en main, congédiant l’exerus, pour le moment.
-« Essayez de trouver les vis, Cora… tenez bon autant que possible sans risquer vos vies. Peut-être comprendront-ils que nous méritons plus de respect !! »

Elle-même finit par épauler son fusil, retranché derrière une paroi mécanique, un bouclier de fortune brandit au-dessus de la tête pour se prémunir d’un tir en cloche. Elle guettait les fenêtres pour être prêt à tirer sur la première paire d’oreilles pointues qu’elle verrait poindre au sommet.
-"Je me demande si le dernier d'entre nous saura activer l'un des robots si nous sommes débordés, avant de nous replier."

Spoiler:

Il avait fallu courber l’échine pour éviter les flèches, suer sang et eaux pour ceux qui combattaient. La stratégie avait cependant fini par payer dans un chaos difficile à imaginer. L’intervention d’Artemis avait été un grand final qui avait coupé le sifflet aux derniers gobelins franchissant de manière éparse le monticule de cadavres d’où s’écoulait une flaque verdâtre.
Ils avaient choisi leur destinée.

La confrontation serait assurément problématique sur le long terme quant à la pacification de la région à des fins de recherches. En attendant, Ellendrine constatait l’impacte de son invocation sur la balise. Elle l'avait presque oubliée. Quant au pauvre Sam, il fut rattrapé de justesse par une Nostell pas très en forme. Elle espérait que Jane ne ferait pas le rapprochement entre le disjonctage de son équipement et l’exérus, qu’elle se hâta de rappeler dans son totem.

L'accalmie était une chance d'explorer les lieux sans trop s’éloigner dans la brume. La chercheuse débusqua donc son holographe et entama une première retranscription sono-spatiale des locaux de l’usine.

-« Voici l’usine d’assemblage antique dans laquelle l’équipage de l’Albatros s’est retranchée, car nous étions poursuivis par une armée entière de gobelins. Comme vous pouvez le voir à l’empilement de leurs corps, ils ont tenté une attaque par force brute. Mais notre stratégie et notre armement nous ont permis de tenir bon pour le moment… … il va de soi que la présence d’une civilisation hostile aux alentours des sites rendra les recherches ultérieures plus périlleuses et la taille des dispositifs de sécurité plus onéreux… mais voici les chaînes d’assemblage que je suis parvenue à redémarrer à l’aide de cristaux malgré des siècles d’obsolescence ! Des robots élaborés que je suspecte d’être de rang « soldat » semblaient garder ce site stratégique, peut-être dévolu à la production de cristaux… »

Pouvait-on vraiment en vouloir à une archéologue de collecter tout ce qu’elle pouvait collecter comme matière dans le peu de temps qui lui était imparti ? Après tout, c’est exactement pour cela qu’ils étaient venus. Quoique entrés au hasard dans ce complexe industriel, le site paraissait prometteur. Mais qui savait ce que la région pouvait receler d’autre.

Elle en était à se demander quel appui trouver en Aramila pour ne pas purement et simplement remettre de possibles avances technologiques à Epistopoli, quand elle s’aperçut que le groupe se dirigeait vers le conduit d’aération. Artemis insista pour passer devant, mais l’archéologue suivait de près. Farouk a sa suite était dans le plus grand inconfort pour circuler dans le cercueil de métal rouillé. Bien qu’Artemis ait essuyé une grande partie de la poussière, celles en suspension déclenchèrent chez lui une crise d’éternuments. Il avait par ailleurs le plus grand mal à trainer sa mitrailleuse. Quand le conduit prit de l’altitude, une appréhension mêlée de curiosité grimpa en elle.

-« Que voyez-vous, Artémis ? »

Son ton voilait à peine son impatience. En dépit de son air professoral, on lisait l’excitation à travers ses murmures. Si elle avait eut l’espace de lui grimper dessus pour mieux voir de ses yeux à travers la grille, sans doute l’aurait-elle fait pour devancer les mots de l’ermite. Sa descente spectaculaire avait des airs de tour de prestidigitation. De son côté, Ellendrine fut plus poussive, se raccrochant à la crosse de la mitrailleuse de Farouk, que son ami fit descendre doucement jusqu’à ce qu’elle touche le sol.

De ses mains, elle tapota son habit couvert de traces sombres. Un nuage de poussière se forma autour d’elle, tandis qu’elle remettait son sac-à-dos. Assez rapidement, elle s’intéressa comme Artemis à la carte affichée au mur. Et elle se hâta de débusquer son Escopette de Darrier pour prendre un clichet du portebrume en réflexion face à la carte, puis de l’allure générale des bureaux, à la lueur des crépitements de poudres magnésiques à chaque clichet.

Concentrée et silencieuse, son esprit était focalisé vers l’examen rapide des lieux. Elle en profita pour réserver une ou deux photos en plan reserré à certains documents d’archive prometteur qu’elle avait époussetés le plus délicatement possible au pinceau. La poussière lui donna vite les larmes aux yeux. L’archéologue regrettait d'avoir oublié ses anti-histaminiques à bord de l’Albatros.

Artemis était parti en exploration de cognition. Les autres aventuriers avaient tous mis pieds à terre et elle analysa à son tour la carte : ils se trouvaient a priori dans un bâtiment administratif de plusieurs étages. Il mériterait sans doute une équipe complète de chercheurs pour mener des mois de fouilles approfondies.

-« On dirait qu’il existe plusieurs bâtiments. Si nous voulons en explorer certains, il faudra sans doute nous risquer dehors, à découvert… je reste assez surprise de l’archaïsme de l’armement des gobelins de Ciccada. La rumeur de leur intérêt pour un minerais inconnu à Urh et leur organisation pour une expédition si lointaine, laissaient présager une civilisation plus avancée. Je ne comprends pas leur agressivité généralisée et immédiate… en tout cas, restons méfiants, les gobelins sont connus pour être de brillants ingénieurs. Et vu ce qui se trouve ici… je voudrais quand même que nous allions plus tard visiter l’entrepôt de stockage pour voir les produits finis s’il en reste. Et si possible, priver les autres chaînes d’assemblage de leurs cristaux de contrôle.»

N'ayant pas de « temps à perdre » dans l’immédiat avec sa cognition, elle se plongea dans les documents fanés. Le vieil urhois n’était pas un problème pour elle. En les parcourant, il apparut vite que ces bâtiments appartenaient à une société de commerce nommée Emporium Inc. La plupart traitaient de comptabilité. Elle n’y entendrait rien. Mais elle savait que ces pièces rébarbatives étaient des pièces d’archive extrêmement précieuses pour la recherche et en préleva certaines.

Consciente d’être pénible pour les autres membres du groupe qui patientaient, elle se livra à sa besogne le plus efficacement possible en les ignorant.

Enfin, elle débusqua une note urgente, requérant la livraison du document au directeur pour ce qui semblait être la livraison d’un double fond de tiroir.

Artemis semblait pointer l’ascenseur.

-« Excusez ma lenteur. Cela demanderait plus de tranquillité, mais il y a de petits trésors ici… je voudrais voir le bureau du directeur sur le toit, si nous le trouvons… laissez-moi quelques minutes pour actualiser mon journal, de grâce. »

Sa plume se mit à gratter fougueusement le papier de son carnet :
Jour 4, 18h30 : « La lumière commence à faiblir. Nous avons bien avancé. Que dire, sommairement. L’équipage a repoussé bruyamment des calypèdes à l’arme à feu. Nous avons attiré un Décapod. Par chance, nous sommes parvenus à faire diversion et fuir de l’avant. Le réseau de galeries semblait balisé par des sigles gobliniques indiquant le toponyme « forêt »… dès l’arrivée au bois de Ciccada, une petite troupe de gobelins d’allure primitive a tenté de négocier nos rations. Le groupe était en désaccord mais nous avons préféré obtempérer pour favoriser un premier contact pacifique… Avons été rapidement pris en chasse par une armée innombrable équipée de moyens rustiques…

Nous sommes réfugiés à la hâte dans une structure imposante en bon état, que je pourrais sans risque caractériser de site industriel antique d’importance… Les machines sont en état de fonctionnement ! J’ai emporté plusieurs des cristaux de contrôle pour étude. L’important nombre des éclats de cristaux au sol pourrait suggérer une usine de fabrication cristalline. Si cela s’avère, la découverte de ce site est de première importance pour le progrès technologique d’Urh.

La présence de nombreux cristaux morcelés au sol peut indiquer un départ précipité des anciens occupants… néanmoins, site non saccagé. Surprise de voir que les robots-soldats n’ont pas été activés. Ils semblent aussi bien conservés que les chaînes d’assemblage et constituent donc une menace potentielle… ah, nous avons donc repoussé l’assaut de l’armée gobeline en nous barricadant dans l’usine. Ils ont payé un lourd tribut de sang… impossible de savoir s’ils reviendront… nous nous enfonçons dans l’infrastructure pour l’explorer et nous mettre à l’abri. Aucun blessé à déplorer de notre côté pour le moment, sauf contusions mineures… A présent dans des locaux administratifs, de nombreux documents d’archives écrits en vieil Urhois sont présents. Certains sont dégradés mais encore lisibles. Mais leur nombre et leur fragilité ne les rend pas tous transportables. Je tente un prélèvement des informations les plus significatives. »

Pour un premier défrichage, il faudrait s’en contenter. Ellendrine inspira très lentement, avant de laisser remonter son diaphragme tout en douceur sur une longue expiration libératrice. Elle retrouvait une parcelle de sérénité. Tant d’efforts pour rentrer bredouille sur Urh ou mourir à l’entrée du hangar aurait laissé son âme sans repos. A coup sûr, elle se serait transformée en Jiangshi. Voilà un peu de son savoir sanctuarisé dans son carnet.

Revenant progressivement au monde autour d’elle, l’archéologue constate que son équipe l’attend sagement. La plupart est en train d’inspecter la cage d’escaliers et l’ascenseur. Le robot Sam semble revenu à ses diodes. Comme quoi, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.

Son regard embrassait les locaux tout en regardant dans le vague, ce qui lui donnait l’air un peu perdu. La détective Raykes s’installa près d’elle pour la questionner. Elle hochait vaguement de la tête sur ses réflexions.
-« Un sacré bout de temps, je dirais… … »
Elle n’allait bien entendu pas la laisser comme ça.
« Si on considère la théorie selon laquelle l’apparition du panthéisme concorde avec la création de l’Enclave, peut-être deux mille ans, Cora… je sais, ça paraît fou… »

Elle se tourna vers la femme masquée pour la regarder.
-« D’après mes expériences de terrain, la matière organique tend à se dégrader très rapidement. Sauf si l’on se trouve dans un climat très sec ou complètement glacé durant toute l’année, le papier devrait se dégrader complètement en moins de deux siècles, même en étant pas exposé aux intempéries… ce que j’ai aussi pu constater est que la brume distord les lois de la physique telles que nous les connaissons. Les cadavres comme les constructions se dégradent à un rythme beaucoup plus lent… pour nous, cela laisse plein de capsules temporelles, un vrai paradis d’archéologue. »

Tout ce qu’impliquait la preuve de l’existence de cette usine la laissait songeuse.
-« Nous avions trouvé bien des édifices en ruines hors de l’Enclave, là où le Panthéïsme nous disait que rien n’avait jamais pu exister dans le domaine de la Malice. Mais c’est la première fois que nous découvrons un site aussi avancé technologiquement et dont l’état de conservation permette d’en apprendre autant sur ceux qui devaient probablement être nos ancêtres… nous savons maintenant qu’un empire du nom d’Yfe s’étendait à l’infini au nord d’Urh… Et nous ne sommes que des fourmis qui avancent à tâtons sur leurs traces… j’espère que nous ne suivrons pas le même chemin. »

Sa conclusion était plus amère qu’elle ne l’aurait voulu.

-« Ce n’est pas un endroit à dépouiller. Voler ici, c’est comme dépouiller l’humanité survivante de son avenir. Et de son passé. Nous avons besoin de le connaître pour ne pas répéter les erreurs de nos prédécesseurs. Et vaincre le Mandebrume. »

La détective finit par la confronter au sujet de son totem.
-« Oui… vivant à Aramila, je me suis faite à une vie simple. Je tends à oublier ces effets secondaires sur le matériel en présence de cet animal. Heureusement, ces perturbations ne sont que temporaires. » nomma-t-elle en se promettant de ne jamais invoquer l'Exerus à bord de la Rapière et de bien le faire au contraire si elle était un jour prise pour cible par des machines de guerre epistotes.

C’était une façon détournée de s’excuser du désagrément. Sur quoi elle se releva pour rejoindre les troupes. Farouk avait écarté au forceps les portes de l’ascenseur à l’aide d’une tige en fer pour exposer une cage vide, dont les câbles encore robustes ne portaient que peu de marques de rouille. L’ascenseur était un étage plus bas, ce qui leur laissait libre l’accès aux étages supérieurs.

-« Je monte la première ! » affirma-t-elle. Elle eut le temps de regretter son audace bien avant de prendre de l’élan pour sauter jusqu’au câble. Personne n’eut son mot à dire pour opposer que le boitier en bas permettrait peut-être de réactiver l’ascenseur. Du point de vue de l’archéologue, arriver en territoire inexploré en monte-charge serait assurément un déshonneur. Et pourquoi multiplier les risques près de cette eau croupie où pouvait barboter Lugrilen sait quoi ! D’abord les bureaux de la direction, le reste ensuite.

-« Ellendrine ! »
Emportée par le poids de son sac, elle venait de tourner autour du câble. Pour une intellectuelle, elle se maintenait en forme. Mais elle restait une femme. La force dans le haut du corps faisait défaut. Par manque de prise, l’escalade verticale s’annonçait particulièrement périlleuse.

Elle entendit des voix essayer de lui faire entendre raison. Ses biceps tractèrent de toutes leurs forces pour la hisser dans un bruit de soufflet.
-« N’insi-stez…. Mmmf… pas !... Je…. Aaaah !!!… je suis…. uNe… … ouuuff…. pionnière ! »
Les secondes suivantes s’avérèrent quelque peu embarrassantes. Rouge pivoine, elle serrait les dents tout en gonflant les joues dans un halètement qui rappelait d’un peu trop près un accouchement. Une veine palpitait sur son front.
-« Ce serait plus facile si tu abandonnais ton sac. On repassera tous par ici. »
-« Mon sac ? … Balivernes ! … mmmfff… et pour les prélèvements ?!... et si… les gobelins… le trouvent ?! »
On aurait pu la jeter dans un siphon océanique avec un sac de prélèvement pesant une enclume, elle aurait mouliné deux fois plus vite sans jamais penser à s'en délester. Et surtout, plutôt mourir que de faire demi-tour toute penaude.

Aidée de ses cuisses d'acier et de ses chevilles qui sécurisaient son avancée, elle finit par trouver une technique pour se tortiller et grappiller un ou deux mètres.

Une fois dans les ténèbres qu’elle estimait correspondre à la hauteur du troisième étage, elle se demanda la mine sombre comment atteindre les portes depuis son câble et forcer les portes qui étaient scellées.

Malgré ses fulminations et ses stratagèmes, Farouk l’avait rejointe, sur le câble voisin, pour lui faire la courtoisie d’ouvrir les portes.

-« Ce n’est pas du jeu. La nature t’a doté d’une confortable allonge avec ces grands bras. » protesta-t-elle alors qu’elle se hissait sur le palier à ses côtés. « Mais je suis quand même montée toute seule ! »

Elle était bien contente de porter des mitaines. Ses mains la remerciaient de cette protection contre les frottements du métal. Solennelle comme les pyramides, son enfant intérieur devait se manifester à travers quelques lubies exploratrices.
-« Si je suis arrivée ici, tout le monde peut le faire. Allez, qu’attendez-vous ? »
Pendant qu’ils grimpaient, elle installait quelques lanternes pour sécuriser le périmètre. Les mains sur les côtes, elle pouvait enfin se remettre.